GELUCK EX MACHINA, LA BIBLE SELON LE CHAT

geluck papeJ'ai adopté ce format particulier pour plusieurs raisons, je sais que mes fidèles lecteurs aiment avoir tous mes albums les uns à côté des autres et comme je me trouvais dans un récit au format à l’italienne - parce que dessiné sur appli - j’ai conçu ce coffret qui fait la taille habituelle de mes albums, avec deux albums, premier miracle de la bible qui permet de doubler mon tirage ! C’était complexe à imprimer le coffret, je ne voulais pas d’un truc chinois, mais après des recherches un imprimeur français a été trouvé, avec ce système de monocuvette. Cela fait un objet élégant, pour un prix – 96 pages par bouquin – 14,95 €, une prouesse technique pour un prix raisonnable. J’insiste auprès de mon éditeur pour rester dans des tranches de prix qui restent populaires parce que le Chat est un personnage toutes catégories sociales confondues, pour les fortunés, les gens normaux, les jeunes… Dans mes lecteurs, j’ai des philosophes ou des profs d’université très exigeants intellectuellement qui me disent que c’est formidable mais j’ai aussi le serrurier ou le flic du quartier qui adore !

Ce qui est important pour moi c’est que ce soit perçu de la même manière, c’est-à-dire que l’intellectuel pointu n’y trouve pas plus de choses que la crémière du quartier, parler à tout le monde de la même manière.

GUILLAUME SOREL A PROPOS D'HOTEL PARTICULIER

Il était une fois une jeune femme qui se suicide dans son appartement… une fin ? Non, le début de son histoire car elle va hanter l’immeuble qu’elle a habité et, avec la complicité d’un chat, elle va rencontrer tous ses habitants : petite fille mystérieusement disparue, amours illégitimes, bibliophile érotomane, vieille écorcheuse de chats. Et ce peintre sans le sou pour lequel notre fantôme ressent une attirance certaine…
 
Il était une fois plutôt que de nos jours tant cet album semble intemporel, l’action pouvant se situer hier comme il y a 50 ans… Guillaume Sorel abandonne les atmosphères sombres et angoissantes de ses premiers albums pour une histoire tout en justesse, en délicatesse, couvrant les pages d’un dessin qu’on croirait fait à l’aquarelle mais qui est à l’encre de chine noire, évoquant les vieilles photos délavées. Son lavis fait penser à un Hermann qui après ses séries s’est mis à faire ses one-shot de grande qualité, le même graphisme plein de lumière et de légèreté qui privilégie le blanc. Seul aux commandes, l’auteur fait évoluer son personnage selon son gré, avec lenteur, s’attardant sur tel et tel personnage, développant à l’envi et nous entraînant dans une histoire finalement très triste mais prenante qui aura une fin… heureuse. Guillaume Sorel, grand amateur de littérature fantastique, lui a déjà rendu hommage mais du côté gothique… Ici il a la retenue d’un immense auteur belge : Thomas Owen. Il indique même - par quelques cases montrant une bibliothèque - quels ouvrages le lecteur attentif pourrait parcourir pour retrouver ses sources d’inspiration…
Une belle œuvre qui prouve que l’auteur, après avoir puisé dans les ténèbres a pris goût à la lumière…

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FRANCOIS MAINGOVAL ET ERIC ALBERT - CORPUS CHRISTI

Lors de fouilles sur le site de Petra, Thomas Bellec découvre le corps momifié du Christ. Une plaquette en araméen authentifie ce corps. Mais la preuve finale se trouve depuis 2.000 ans dans un coffre du Vatican. Chaque pape, au moment où il accède à la magistrature suprême, se voit révéler le secret ultime. Bellec veut garder le secret le plus longtemps possible, le temps de ramener la momie en lieu sûr mais La nouvelle s’ébruite rapidement. Certains veulent récupérer la momie à tout prix…
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Corpus Christi doit être le dixième (ou plus) album des éditions Sandawé, financé par les lecteurs devenus par la même occasion éditeurs. Corpus Christi aurait pu être un thriller ésotérique mais n’est est pas un, ici pas de jeu de piste à la code De Vinci, juste une trouvaille archéologique tellement énorme qu’elle risque de bousculer toute la religion catholique, si pas plus. Parce qu’en fin stratège, le scénariste François Maingoval va mettre en scène plusieurs « entités » qui vont vouloir s’accaparer ce bien à leur seul profit. Même si il s’agit du Christ personne n’a vraiment envie de partager, car tel est devenu le dogme de notre pauvre société. Et Thomas Bellec, ce pauvre archéologue belge, qui trimballe son propre Judas, va tenter de prendre la fuite et sauver « sa » découverte. Est-il pour cela meilleur que les autres ? Il se rattrapera vers la fin, laquelle, pour ceux qui se plaignent que la BD se termine un peu abruptement, reste ouverte et peut donner lieu à un deuxième volume. Le graphisme de Eric Albert, venu du dessin animé et de l’illustration est clair et se laisse lire… Le pauvre n’a pas été épargné par son scénariste, hélicoptères, charges de chevaux, ruines de Petra…

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© JJ Procureur


(François Maingoval) Ce n’est pas de la BD ésotérique, c’est une BD réaliste. Il existe un genre de Jésusland aux Etats-Unis, où le christ se fait crucifier tous les jours vers quinze heures, où tu peux manger des hamburgers… c’est d’un mauvais goût formidable, tout comme cette cathédrale en cristal, aussi réelle, aux mains d’une secte !
Tout ce qui se trouve dans le récit n’existe pas nécessaire mais pourrait exister, tout est plausible car il est fort possible qu’un jour on retrouve le corps du christ… il doit bien exister quelque part. Et si on retrouve le corps du christ cela ne remettra pas en cause la mentalité de la philosophie de la religion catholique qu’est la mort du prochain, cela remet en cause les dogmes de la résurrection du christ…

(Eric Albert) Le Vatican nous a donné un coup de pub remarquable avec la démission du pape ! Je terminais à peine la dernière page lorsque j’ai entendu la nouvelle et nous avons saisi cette occasion pour rebondir sur l’actualité.

(François Maingoval) Il a été prévu que le livre soit envoyé au Vatican mais je ne sais pas si cela a été fait. Il n’y a rien d’agressif dans cette BD par rapport à la religion catholique, d’ailleurs je l’ai offerte au vice-recteur de l’université catholique de Louvain qui l’a beaucoup appréciée !
Je suis incapable de dire comment j’ai trouvé l’idée de départ de ce récit, un jour une idée qui trotte dans votre tête et qui vous travaille… Mon grand-père est archéologue, il a trouvé le trésor de Liberchies, 300 pièces en or datant de l’époque du Christ. Moi-même, je ne suis pas l’archéologue mais il y a un peu chacun de nous dans ces personnages. J’ai essayé d’éviter les clichés, j’ai créé des personnages très crédibles, humains et même parfois pas très sympathiques…
Je connaissais Patrick Pinchard depuis des années, il y a une dizaine d’années il avait le site actuaBD et quand sa gestion est devenue trop lourde, je lui ai donné un coup de main. Voulant lancer Sandawé, il voulait des auteurs qui avait de la bouteille et il a flashé tout de suite sur ce projet. J’ai rencontré Éric et nous avons trouvé ce concept intéressant. Nous étions les premiers sur le site !
Au début il n’y avait pas d’échange entre les édinautes et nous, ce qui fait que le projet est resté assez longtemps sans financement, alors nous avons commencé à faire des dessins. C’était très lourd, contraignant, chronophage puisqu’il fallait alimenter notre page tous les deux trois jours. Il fallait affronter des édinautes très critiques qui s’acharnaient sur des événements qui en finalité perturbaient l’image. Il faut avoir l’intelligence d’écouter et pouvoir s’accaparer les bonnes idées, mais il y a des limites à ce genre d’échanges, il faut de la courtoisie.
D’ailleurs l’édinaute qui a donné la plus grosse somme au projet est devenu un des méchants de l’histoire et cela lui a fait plaisir !

(Eric Albert) C’est ma première BD. Je viens de l’illustration, du dessin animé, mais j’ai toujours considéré que je faisais de la BD même si c’est un rythme très différent. Il y a de formidables illustrateurs mais ils ne savent pas faire de BD. En fait, le but c’est de passer d’une case à une autre, de faire sortir le spectateur de la case pour l’obliger à aller à la case suivante. Si il s’arrête il ne lit pas. Il y a des dessinateurs très moyens comme Hergé qui sont de formidables raconteurs d’histoire, des accapareurs… Ce sont des récits qui se lisent avec les doigts, le doigt qui suit les cases et le dessin doit être au service du scénariste qui développe l’histoire… Une BD ne doit pas être trop riche, il faut un rythme, un tempo…
François et moi nous sommes rencontrés à l’occasion d’un projet pour l’écurie Jacques Martin, projet qui finalement n’a pas abouti… Si le public suit et si l’éditeur est d’accord un scénario pour le tome deux est prêt !

Corpus Christi (scénario F. Maingoval - dessins E. Albert) vient de paraître aux éditions Sandawé et il y a actuellement une exposition des planches originales à la Gallery du CBBD.
 

ENTRETIEN AVEC KAMAGURKA: LA LOGIQUE DE L'ABSURDE

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(photo Yves Declercq) Kamagurka-Viviane-Ever Meulen et Herr Seele

A quelques centaines de mètres de ce parlement flamand d’où jaillit une polémique linguistique et bédéique qui déchire déjà les deux côtés politiques de notre petit pays, petit esprit, la galerie Champaka expose un duo d’auteurs flamands, Herr Seele et Kamagurka, coupables depuis plus de trente ans d’avoir créé Cowboy Henk, ce bellâtre, sorte de croisement entre Lambique et Superman mais en blond qu’on croirait con comme ses pieds mais qui poursuit une logique qui souvent échappe aux autres… Et même que ce pur produit flamand a franchi les frontières en se faisant publier dans RAW et Fluide Glacial et Hara Kiri, excusez du peu. Le voilà qui finit enfin traduit en français et en album, édité par FRMK, ce collectif qui ose là où les autres n’osent pas. Un bouquin épais comme une encyclopédie qui rassemble une bonne centaine des aventures improbables du grand blond, aux couleurs très franches, un humour très corrosif. Cow-boy Henk y commet toutes les atrocités et ira où les autres n’iront pas et même plus loin si il le faut... Pour notre plus grand plaisir car nous découvrons, si ce n’est déjà fait, le talent de ces deux auteurs, BV de leur côté de la frontière et ce personnage qui tout compte fait chipote du même côté de l’absurdité surréaliste que le chat de Geluck et qui n’est ni plus mal ni mieux dessiné. Fort de ses 32 ans d’existence, Cow-boy Henk a fait des émules de son côté (linguistique) avec les Kinky et Cosy de Nix et les jumeaux critiques de Brecht Vandenbroucke, pour n’évoquer que ceux qui me reviennent en mémoire !

Ne manquez pas d’aller faire un tour du côté du Sablon et après avoir parcouru la trentaine de grandes planches du blond Henk chez Champaka, passez de l’autre côté de l’église jeter un oeil aux œuvres déjantées de deux autres flamands, Johan de Moor et Al Balis qui exposent à la galerie Petits Papiers.

A bon entendeur salut, messieurs les flamingants, en BD il n’y a pas de frontière linguistique et nous, passionnés de BD, ne nous laisserons embarquer dans votre connerie extrémiste !

De l’absurdisme ? C’est un terme plutôt ardu parce que si on y réfléchit bien il n’y a pas moyen de faire un gag absurde, parce que personne ne comprendrait. Dans COWBOY HENK il y a des éléments absurdes mais qui restent en finalité logiques.

COWBOY HENK est une sorte de rêve, quand tu rêves, tu sais que tu rêves, c’est une situation de rêve où il arrive des situations absurdes mais qui se résolvent de façon logique. La logique est le plus important, uniquement absurde serait incompréhensible...

La plupart du temps, Herr Seele et moi créons nos histoires au café, à Ostende. Je commence par boire des cafés très fort et Herr Seele du thé mais ensuite nous passons à la Trappiste. Pendant ce temps là, nous sommes en train de griffonner sur la table, si bien qu’à la fin nous avons une vingtaine de récits. J’observe mon partenaire, il a un visage très spécifique et cela m’inspire. Dés que je l’observe, je ne peux m’empêcher de rire, ce qui me mets dans cet état d’esprit me permettant d’imaginer cette sorte d’histoires…

Ce n’est pas évident de faire rire les gens avec COWBOY HENK. Tout le monde ne rit pas avec lui néanmoins nous avons un vaste public, et même des enfants de dix ans qui adorent cela.

Ce n’est pas nous premier album en français, le premier s’appelait Maurice le cowboy et a été édité chez Albin Michel. Nous ne nous sommes jamais beaucoup préoccupé de faire des albums parce que j’ai une vie très remplie en tant qu’artiste : peinture, tv, théâtre…

COWBOY HENK est né en 1981, je faisais des strips dans le journal Vooruit et Peter (Herr Seele) était butler chez moi. Comme j’en avais marre de faire ces strips j’ai imaginé un autre job pour lui : dessiner. Il a un style très simple. Les premiers COWBOY HENK ressemblent aux premiers dessins de Hergé. De toute façon, nous avions établi une sorte de plan pour évoluer notre personnage vers ce qu’il est à présent. Je n’ai jamais pensé que nous allions tenir le coup pendant 30 ans, j’imaginais qu’il n’allait durer que quelques années…

 

JEROME LEBRUN - DU RIFIFI CHEZ LES YEYES

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Déjà auteur du futuriste « Félix dans le rétro » avec le scénariste Saez, Jérôme Lebrun revient avec « Du Rififi chez les Yéyés », un titre qui fleure bon les sixties, pardon, les années soixante, puisque l’action se passe en France avec des Français. Il y est donc question d’ancêtres vintage – ici la 4CV - , de yéyé et de SDEC, les services secrets français créé sur le modèle américain par de Gaulle après la deuxième guerre. Raoul Scopitone et son fidèle complice Marcel Formica sont les agents les plus rantanplans de la SDEC et chacune de leur intervention finit par un chaos. On les lance donc aux trousses de kidnappeurs de rock stars sur les routes de France. Inutile de vous dire que tout cela n’est pas très sérieux, que ceux qui adorent le cinéma français des années soixante vont adorer cela, Gabin, Ventura, les dialogues de Michel Audiard, Henri Verneuil, le Baron de l’écluse, les Tontons flingueurs, le Monocle et j’en passe.
Toute la course-poursuite est mise en image par le français Jérôme Lebrun, originaire de Djibouti, français, habitant en Allemagne et adorant la Belgique ! Bref, quelqu’un qui ne se prend pas du tout au sérieux et cela se ressent dans son dessin qui frise la caricature, un régal pour les yeux. Même que voulant se plonger intégralement dans les années soixante il a terminé ses crayonnés à la plume et a colorié le tout à l’aquarelle, de la haute voltige comme au bon vieux temps ! Tout cela mis en musique par le scénariste Philippe Pinard, déjà auteur de Zone Rouge et de Ciel en Ruine, atout de Paquet mais côté Cockpit !
« Du Rififi chez les Yéyés » est donc une BD qui se lit avec plaisir, d’un trait et même qu’après on recommence pour s’amuser à retrouver toutes les allusions, références et hommages cachés au fil des pages.
Pour parodier Audiard : « Les bons ça ose tout, c’est à ça qu’on les r’connaît ! »
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J’adore les années 60 au niveau cinéma, musical, culturel… c’était foisonnant et j’avais envie de me faire plaisir , de raconter une histoire avec cette ambiance-là avec toute l’iconographie, le design farfelu, l’ameublement, l’émergence de la culture américaine qui commençait à prendre avec un design français.
J’ai posé les bases d’un story-board que j’ai présenté à Pierre (Paquet) - en temps que dessinateur j’ai mes limites scénaristiques - il m’a conseillé Philippe (Pinard) et on est tombé tout de suite sur la même longueur d’onde.
Raoul Scopitone est le limier des services secrets français qui étaient en terrain de se développer sous De Gaulle, le SDEC, tous ces gars qui avaient œuvré sous de Gaulle et avaient appris sur le ta, ces anciens maquisards qui ont appliqués les méthodes anglaises et américaines avec les moyens de papa. C’était le côté foireux de cette époque-là qui m’intéressait !
James Bond finit toujours en panache une mission qui se passe dans les pays tropicaux, j’ai voulu garder cette trame mais comme ce sont des espions français et que rien ne marche, ils foirent leur mission et leur prochaine est une punition, ils se retrouvent plongés dans l’univers yéyé en France.
Avec « Du Rififi chez les Yéyés » j’ai voulu changer du cent pour cent bagnoles de la collection Calandre, car je sais par expérience que les gens qui ont ce genre de bagnole épousent le même style de vie et écoutent le style de musique qui va avec, ils ont la collectionnite. J’ai proposé un autre univers : les Yéyés.
Même si c’est de la déconnade, le scénario les voitures et tout ce qui fait l’univers est hyper documenté, chaque objet est issu d’une recherche très poussée, le collectionneur s’y retrouve. Les années soixante, avec le recul tu trouves cette période super amusante !
Je me suis imposé comme défi, tant qu’à faire une bd sur cette époque là de la faire comme à cette époque-là. J’ai fait l’encrage à la plume, au pinceau, les couleurs en direct sur les ancrages noir et blanc à l’aquarelle. Avec zéro ordinateur, un gros boulot mais je suis content du résultat, il n’y a plus beaucoup d’albums fait comme cela !
Je ne me suis jamais pris au sérieux, à chaque fois que je fais une chose il faut que je m’amuse, les films de cette époque avec Lino Ventura, Francis Blanche, c’était des tronches caricaturales, les dialogues d’Audiard, je suis fan de Verneuil et je notais tous les bons mots que j’entendais dans un calepin.
Je suis un fan de Gil Jourdan, à qui je rend hommage, il y a des petites anecdotes qui parsèment l’album, le gendarme c’est Christian Marin que j’avais rencontré dans un festival pour la sortie du nouveau chevalier du ciel. J’ai croqué des amis à moi, des clins d’œil
Etant fan des bonus sur les DVD, je me suis amusé à faire un blog qui vient en bonus de la BD, une sorte de making of, l’historique les décors de film que j’ai repris comme le camion de 100000 dollars au soleil en page 1...
Raoul Scopitone, je l’ai imaginé à partir de Fernand Reynaud, avec une petite moustache en plus comme cela se portait à l’époque…
 
Du rififi chez les Yéyés, une enquête de Raoul Scopitone, agent secret par Lebrun et Pinard – Paquet coll. Calandre

JOHAN DE MOOR ET LE CHAOS ORGANISE


Bien qu’ayant le look d’Andy Warhol – Andy Waarom comme il l’apelle - Johan Willy De Moor est un fils de BD. Il est tombé dedans quand il était petit, avec son père Bob de Moor et son parrain Willy Vandersteen. Doué, il a faillit reprendre l’Alph’Art mais il s’est fait Quick et Flupke. Puis il emmêle Breughel dans sa ligne claire et crée Gaspard de la Nuit, devient plus caricatural avec la Vache… Il est aussi dessinateur de presse et son humour est corrosif.

Quand Johan fait de la peinture, cela reste de la BD… Ses toiles sont remplies de références et de phylactères pleins de mots et il y en a même qui mises bout à bout forment une histoire. Car Johan a beaucoup à raconter et comme il sait faire parler les images, il y a beaucoup à voir. Il peint à travers son œil atomic, truffe ses toiles d’allusions, mélange du Disney, de la ligne claire et des BD de bas étages dont la laideur fait leur beauté. Il nous fait des coups vache, emmêle le tout avec des petits personnages en plastique qui se baladent sur le bord du cadre, créant une dimension supplémentaire et il nous inonde avec des couleurs tapantes qui ne sont pas sans rappeler les toiles africaines. Cela fait tout à la fois penser à du Warhol, à du Lichtenstein, à du Breughel et du Magritte mais cela fait surtout penser à du Johan de Moor.
Pour le vernissage de son expo en compagnie de Al Balis, sculpteur flamand surprenant dont les œuvres, grandes pièces montées psichédéliques mettent en valeur les toiles de Johan et vice versa, De Moor avait prévu de faire son show, apparaître en combinaison et se faire décontaminer en direct mais à la place les invités ont été tous affublés de lunettes rouges.
Johan a promis d’organiser un « finissage »… Ca promet !

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© Yves Declercq Johan De Moor et Andy Waarom


La peinture c’est un problème différent que la BD, c’est une manipulation différente, loin de sa petite plume. La première toile, je l’ai faite sur ma table à dessin, bien à l’aise… Mais je me suis rapidement aperçu que ce n’était pas de la peinture, ça… que j’allais mettre 10 ans pour faire 3 toiles !
Il y a ce problème de couleur, d’acte tout court, la peinture est un acte différent. La BD, c’est un scénario et un dessin qui suit. J’aime bien avoir des dénominateurs communs, savoir où je vais, j’ai besoin de raconter une histoire… Je me suis dis : occupes-toi plutôt de peinture et moins de la finition du trait. Plus tard, après l’expo, si j’en fais une autre, j’irai voir quelqu’un. J’ai envie de faire de la peinture à l’huile.
La peinture, il y a une matière, je ne suis plus dans ma BD mais j’y reste malgré tout parce que je suis enfant de ça. Je suis fasciné par le mélange de références, depuis que je suis ket j’adore le pop art.
Un catalogue de Carrefour, je trouve ça plus beau que le Louvres. Je m’y ressource. Il n’y a rien de plus beau que de visiter un Brico, le graphisme de ces magasins, les couleurs et puis les mauvais sites d’internet, j’ai comme cela mille images par jour qui passent devant moi mais je dois sélectionner…
Je ne collectionne rien mais j’ai des tonnes de m… à la maison, rangés dans des boîtes… Je trouve cela fascinant, je tiens les catalogues du Aldi, c’est magnifique ! C’est beaucoup plus lu que la page deux du Soir ! La publicité par contre je suis triste pour eux, ils manquent d’imagination, tout est photoshopé, dans les années cinquante, les types pensaient beaucoup plus ! Tout cela me passionne ! Chouette, avec la peinture je peux un peu sortir de ce que je fais en BD, m’occuper moins du scénario, du découpage, de l’histoire. C’est inné à moi-même… j’ai appelé l’expo l’Oeil atomic à cause de la bombe atomique, cette épée de Damoclès qui pendait au-dessus de notre tête quand on était ket ! J’ai 59 ans, je suis né en 53, il y a eut la crise de Cuba, la guerre froide et puis Tchernobyl. On pensait que tout allait sauter ! Et finalement, ce qui nous a rattrapé c’est le réchauffement climatique !

Dans mes tableaux, je réinvente la ligne claire, Hergé et Jacobs se font décontaminer, je fais des séries de tableaux qui se lisent comme une BD, une histoire. Je suis le filleul de Willy Vandersteen et son influence a été forte… Les Bob et Bobette ont été mes livres de chevet, plus que les Tintin… Au niveau influence on garde tous les souvenirs de son enfance à travers ses lectures, comme dit Renaud « On n’y pense pas de temps en temps mais tout le temps » et plus on devient vieux, plus cela a une importance…
Tout se passe avant dix ans, on est comme des éponges et tout ce qu’on reçoit comme iconographie joue un rôle important dans notre magie, dans ce qu’on fait, qu’on soit dessinateur ou pas ! J’ai repris des dessins de livres de géographie dans mes tableaux, ils me fascinaient étant ket, ce n’était pas bien dessiné mais il y avait une atmosphère.
Dans la peinture, l’important est dans l’atmosphère.
Comme je ne sais pas faire de collages sur les toiles, je me suis dis que je pouvais créer une troisième dimension en ajoutant des personnages en plastique sur le bord des toiles. J’organise moi-même mon petit chaos, avec mon brol, il y a à boire et à manger !

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© Yves Declercq - Yslaire, Sterckx et De Moor


Petits Papiers Sablon : Johan De Moor et Al Balis : L’œil atomic et « anatomia de un instante » - du 9/5 au 2/6 (dans la crypte, vous pouvez découvrir le graphisme étonnant de Daniel Maja)

NOEMIE MARSILY A PROPOS DE FETICHE

Tout commence par un chevreuil qui finit sous les roues d’une voiture et ramené à la maison par un jeune garçon, lequel se découvre une soudaine passion pour la taxidermie. Des années plus tard, le gamin a assouvi sa passion mais se sépare contre son gré de l’objet de ses désirs, le chevreuil change de main et devient ce fétiche dont il est question dans le titre. Noémie Marsily nous livre sa première BD aux Requins Marteaux, un récit en quatre case la page entièrement réalisé au crayon de couleur, ou noir et blanc selon que ce soit le regard du chevreuil. Des histoires étranges, poétiques, sanglantes vont se dérouler, melting-pot fantastique si typiquement belgo-belge. Noémie nous offre un dessin tout en délicatesse, des couleurs sans trait, d’une grande vitalité et aussi empreint de poésie. Le récit est muet et l’auteure réalise un beau tour de force pour nous rythmer son histoire sans paroles et la rendre d’une lisibilité et d’une compréhension absolue.
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C’est un récit en plusieurs petits chapitres qui raconte l’histoire d’une tête de chevreuil empaillée… L’animal est d’abord vivant puis, une fois mort et empaillé, sa tête va voyager parmi différents personnages qui vont se l’approprier, cet objet particulier va changer en fonction des gens dont il va croiser la route…

L’inspiration m’est venue alors que chaque matin je passe par le marché aux puces de la place du Jeu de Balle. J’y vois souvent des têtes de biches, des pattes aussi, qui regardent le ciel, avec un regard bizarre, impuissant, de témoin de leur propre histoire...

FETICHE - NOEMIE MARSILY (LES REQUINS MARTEAUX)

CAUCHEMAR DANS LA RUE - DAVID SALA RACONTE

L’enfer est, dit-on, pavé de bonnes intentions. C’est ce qui va arriver à Kléber, un flic qui marche droit. Son existence bascule le jour où il a un moment de faiblesse et vient en aide à son ami Marc qui se trouve du mauvais côté de la loi. Prenant sa défense, il descend trois truands. Le lendemain, sa voiture explose, entraînant dans la mort son épouse Elénya qui était tout pour lui. A partir de là, Kléber va se consumer dans une vengeance aveugle…

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David Sala, illustrateur pour la jeunesse, ose un pari énorme et difficile en adaptant l’oeuvre de Robin Cook, auteur de polar anglais et non l’auteur américain de thrillers médicaux. Car ce livre est d’une noirceur totale et habité d’une force incroyable, un thème totalement inédit dans le domaine du polar, le grand amour.

Le personnage principal, Kléber, est loin d’être le cliché du flics cynique et désabusé qu’on trouve au fil des polars… au contraire c’est un être droit et fragile, fou d’amour pour sa femme. Lorsque celle-ci est déchiquetée par l’explosion de sa voiture son univers explose et il sera littéralement hanté, (sur)vivant entre rêve et réalité et sombrant chaque seconde un peu plus. Sa déchéance est habilement soulignée par le dessinateur, la plupart des pages sont très noires et bichromes à part quelques scènes choisies. Des pages bourrées de gros plans pour mieux marquer le visage de ce héros qui se décompose au fil des pages, un héros qui finalement n’aura même plus la force de se venger. Pas de happy end, alors…

Cauchemar dans la rue est un récit d’une rare intensité, habité d’une puissance visuelle peu commune, une grande réussite de David Sala !

La raison la plus évidente pour adapter Cauchemar était que je n’avais jamais lu un livre pareil, aussi le fait surprenant qu’un auteur noir comme Robin Cook a abordé le sujet de l’amour avec autant de poésie ! En général les auteurs de polar ont tendance à éluder ce thème là… Dés la première phrase du livre, je me suis dit que c’était le bon choix ! C’est une histoire d’amour absolu, sans cynisme pour un personnage aussi noir que Kléber, on se demande comment un auteur de polar comme Cook a pu oser faire ça. En plus, il a terminé son livre en lui donnant une issue fantastique, quasi mièvre, du Walt Disney, avec du vrai romantisme… L’auteur réunit tous les clichés du genre mais sort rapidement des sentiers battus du polar…

Les scènes de flash back, de rêves sont en couleur directe, faites à l’aquarelle et toute la réalité est sur un papier teinté à l’ordinateur – pour donner plus de velouté - un mélange de deux styles graphiques, les scènes de réalité sont au crayon.

J’ai pris des libertés sur le roman parce qu’il me semblait que c’était nécessaire, une grande partie du roman était sur la culpabilité et je devais le raconter en images, je traite donc de cet état mais différemment, j’ai jugé bon d’ajouter des scènes que j’ai créées et qui ne figurent pas dans le livre...

Il y a très peu de bulles, les images doivent se suffire à elles-mêmes. Mes images racontent autre chose que le texte et le texte se fait complément de l’image !

Cette histoire là je me devais de la faire seul, je ne pouvais la laisser à quelqu’un d’autre, parce que il y a une sensibilité qui m’est propre, c’est extrêmement personnel !

C’est ma vision, dés le début j’ai proposé un flash back et mon éditeur n’en voulait pas mais c’est une question de point de vue d’auteur, c’est mon point de vue. Je voulais démontrer d’entrée de jeu que le personnage principal avait un rapport étrange avec la mort… J’ai d’abord construit mon scénario, mon découpage, l’important était pour moi de raconter cette histoire avec la plus grande justesse, d’y apporter une énergie, un rythme. J’ai dû faire des choix et j’ai gardé ce qu’il me semblait être l’essentiel.

Il y a une influence de l’auteur, je reste fidèle à l’auteur mais quand on travaille sur des adaptations de romans, on fait des choses très personnelles, on se sert de la substance de l’auteur en y insérant des choses qui sont propres, le texte de l’auteur sert de base.

Souvent c’est le style qui donne de l’intérêt au livre mais quand on enlève le style et qu’on prend uniquement le récit, ce n’est pas suffisant, certaines adaptations ne sont pas assez bonnes parce qu’on a oublié de réinventer l’histoire. Quand on adapte un roman on va perdre le style de l’auteur et il faut compenser par autre chose. La littérature à une force d’évocation que la BD n’a pas. En BD on compense avec la force d’évocation en images, l’image raconte autant que le texte, l’objet BD n’est pas l’objet livre, ce n’est pas un copier/coller !

CAUCHEMAR DANS LA RUE - DAVID SALA & ROBIN COOK fait partie de cette excellente collection moyen format créée par Casterman en association avec la collection de polars édités par Rivages/Noir.

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