Seconde adaptation de Vautrin cette année, après Canicule dû à Baru voici Moynot qui laisse derrière lui Nestor Burma pour se replonger dans un truc plus dans son genre, un polar glauque et qui finit très mal, le parcours ensanglanté d’un homme qui sort de prison et fait le grand nettoyage autour de lui, qui veut liquider tous ceux qui ont fait partie de son existence, même ceux qui l’aiment…
paru chez Casterman
Je dis que je suis un auteur BD parce que trop souvent on réduit la BD au dessin et que je suis un auteur complet, je fais des textes et des dessins. J’insiste sur cette notion d’autant plus que j’ai de l’admiration pour les auteurs complets, Hergé, Eisner, Rabaté...
J’ai plus de mal à adhérer aux démarches, sans leur jeter la pierre, des duellistes de BD à l’exception de Goscinny et Uderzo, mais Goscinny avait dessiné et Uderzo avait fait des scénarii. Il est indispensable pour un scénariste d’avoir tâté du dessin, car beaucoup de scénaristes ont du mal à appréhender l’image dans sa réalisation et ont une idée conceptuelle de l’image loin de ce qui se passe sur le papier. Sur le papier on ne peut préméditer une image que ce qu’imaginent les néophytes, il y a une part d’accidents, souvent heureux et qu’il faut savoir garder. Tous les éléments d’une BD doivent participer à la narration, le lettrage, la mise en couleur, tout doit être là pour raconter. Etre dessinateur n’a qu’un intérêt relatif, il faut savoir se servir de ses capacités de dessin, se servir de tout ce que propose le dessin pour raconter l’histoire, il y a des éléments qui nous manquent comme le mouvement, le son, il faut savoir compenser par d’autres aspects, choisir dans la représentation des couleurs, préférer des couleurs narratives plutôt que descriptives, tout le monde sait que l’herbe est verte il est inutile de le répéter, il vaut mieux trouver une solution qui apporte une information sur ce qui se passe plutôt qu’une info sur l’état des choses, de la réalité.
En ce qui me concerne, c’est du numérique dessiné à la tablette, au stylet, cela apporte une souplesse, il est toujours possible d’essayer une couleur et si cela ne va pas on apporte des ajustements, à l’aquarelle le rattrapage est plus compliqué. Pour envisager les couleurs dans une optique narrative le numérique est un excellent outil. L’informatique me permet des choses, aussi de recomprendre différemment la composition, les cases et les pages. Je m’en sers un peu, surtout pour retravailler des détails, un recadrage de case, un petit agrandissement…
J’ai pris un roman d’un auteur comme Vautrin mais j’en ai fait l’adaptation et suis auteur d’une grande majorité des dialogues, je n’ai pas fait une adaptation scrupuleuse, je l’ai faite à ma sauce.
J’ai trouvé intéressant de faire la reprise de Nestor Burma pendant trois titres, mais pour Léo Malet j’avais fait une adaptation scrupuleuse et ce fut une contrainte très pesante. C’est pourquoi je n’ai pas souhaité continuer.
En ce qui concerne celui-ci, cela a été un véritable plaisir d’écriture d’avoir une intrigue déjà installée, une situation abracadabrante, des personnages forts, d’être libre de traiter les personnages à ma façon. C’est cela la bonne façon pour faire une adaptation réussie ; rester respectueux de l’esprit et se l’approprier totalement. Il ne s’agit pas de prendre un roman sérieux et de faire une farce, mais à partir du moment où il y avait ce côté grotesque et farceur dans le récit, appuyer le trait dans ce sens là n'a pas été une trahison.
L’homme qui assassinait sa vie est un roman beaucoup moins connu, qui n’a jamais été adapté, très récent (2001) que j’ai transposé de nos jours, cela ne fait pas une grosse différence.
Est-ce que l’homme est con ? Je pense que l’homme peut beaucoup de choses, qui peut le plus peut le moins mais la tentation d’être con nous pend au nez à tous. Je ne sais pas si c’est essentiellement le discours que j’ai envie de tenir, il est évident que les personnages dans cette histoire sont plus des crétins que des cons, en référence au cinéma des frères Cohen, des crétins qui par imbécilité se mettent dans des situations impossibles et il y a beaucoup de cela dans l’univers de Vautrin et cela me convient de parler de ces gens-là car ils ont un fond sympathique. En revanche, le personnage central est presque un salaud, plus qu’un con. Sa motivation était plus explicite dans le roman, après son passage en prison où il s’est fait violer, lui qui était hypersexuel est devenu impuissant, cela le met en rage et il décide que sa vie ne vaut plus la peine d’être vécu et que si lui ne doit plus vivre rien de sa vie ne doit continuer à vivre… C’est un aspect du roman que j’ai préféré atténuer, même si je l’évoque, parce que une motivation trop précise ne permet pas au lecteur d’assimiler autant et de profiter autant du défouloir que nous propose le personnage. Voir quelqu’un assassiner une vieille femme est révoltant mais en même temps on a envie de taper sur les petites vieilles qui sont énervantes ! Là il le fait pour nous, c’est une défouloir, c’est cela qui est jubilatoire si on précise trop les motivations, le lecteur ne pourra plus se défouler.
Il tue des personnages qui représentent sa mère, qu’il n’a pas eu l’occasion de tuer puisqu’elle est morte en prison.
La couverture fait très Tardi, en effet. Quand j’ai commencé les 10 premières pages j’avais des cases traditionnelles. Je me suis dit que je faisais du Tardi et dés que j’ai enlevé les bords de case cela a commencé à moins se voir, j’ai retrouvé ma liberté dans les pages qui ont suivi. L’efficacité de la composition peut faire penser à du Tardi, c’est très efficace comme la couverture de « Griffu ». Je suis de l’école de Tardi, dans les auteurs français c’est un de ceux qui a compris le plus de choses, il a fait avancer la BD. Actuellement elle recule par rapport aux années 80, Tardi fait partie de ceux qui ont fait avancer ce médium, on peut ne pas aimer tout Tardi mais son dessin me plait toujours et régulièrement certaines de ses œuvres reviennent marquer la BD. J’ai d’autres références très importantes comme Will Eisner, c’est quelqu’un qui a fait vivre la ville comme Tardi, la ville est un personnage et puis Alexis.
Je suis un homme urbain, un dessinateur urbain…
- SHESIVAN
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