GROOM A TOUS LES ETAGES

Pour la rentrée, la Galerie Petits Papiers Sablon met les petits plats dans les grands et choisit de prolonger le jubilée entamé par le CBBD, c’est-à-dire célébrer les 75 ans du groom le plus célèbre : Spirou.  Exposition intitulée : « Groom à tous les étages ».

L’occasion aussi d’exhiber un Spirou pas comme les autres, « Spirou sous le manteau » car il s’agit d’une compilation de numéros du journal interdit, distribué sous le manteau durant l’occupation de la Belgique par les Nazis. Alec Séverin, illustrateur issu d’une famille illustre de peintres, est depuis longtemps attaché à Spirou et l’a maintes fois représenté dans des illustrations qui fleurent bon l’époque de Jijé, des illustrations tout en dynamisme et couleurs vives.

 

Alec s’est transformé en Léopold Avranski, dessinateur belge qui aurait illustré ce Spirou interdit durant la guerre et qui, après la libération, est allé chercher fortune en Amérique. « Spirou sous le manteau » est donc une suite d’illustrations pleine page pleines de gaieté et de mouvement où on retrouve ce Spirou avant qu’il ne devienne l’aventurier inventé par Franquin. La galerie lui consacre tout un étage, où plutôt la crypte pour que ces pages interdites gardent leur parfum de clandestinité.
0000000000000000000000000000000000al
 
Le Journal de Spirou a été interdit de publication par les Allemands en 1943, mais j’ai continué à le produire et à le distribuer clandestinement dans les rues de Bruxelles. Il se résumait à une page pliée mettant en scène Spirou, Fantasio et Spip, signant Al, dessinateur et émule de Gus Bofa et de Jijé.

J’avais mis au point un système ingénieux pour signaler au lecteur l’endroit de la prochaine distribution, un peu comme une chasse au trésor : sur chaque dessin étaient imprimés, codés, la date et le lieu de distribution du numéro suivant.

Dans chacun des 41 numéros de ce Journal de Spirou clandestin, Spirou, Fantasio et Spip partagent le quotidien des Bruxellois : rationnement, systèmes D, bombardements, répression allemande... Tous ces sujets graves qui faisaient le quotidien des adultes et des enfants sous l'Occupation sont présents dans ces dessins, souvent caustiques, toujours frondeurs… Introuvables depuis des décennies, ces tracts ont été confiés par un de mes descendants aux Éditions Dupuis, qui les ont réunis dans un ouvrage, témoin émouvant de la vie sous l'Occupation, mais également preuve revigorante de l'incroyable force de l'humour.

Les originaux seront accompagnés des photographies noir et blanc « d’époque » de Laurent Gilles, un ami photographe qui m’a suivi pendant toute cette aventure. L’exposition présentera la totalité des 50 originaux réalisés en couleur directe. Un portfolio des photos de Laurent Gilles, sorte d’album souvenir, sera également édité.

 0000000000000000000000000bravo

Pour parfaire l’illusion, Laurent Gilles, jeune photographe professionnel a augmenté l’exposition de photos (soi-disant) d’époque, illustrant les dangers courus par ceux qui distribuaient le journal interdit au nez et à la barbe de l’occupant.

 

Au début il était question de faire des photos-souvenirs mais nous avons rapidement opté pour le reportage noir et blanc afin de crédibiliser la chose, faire des photos d’époque. Ce sont des photos numériques retravaillées en noir et blanc mais je ne les ai pas retouchées ou à peine 1 %. Nous avons fait des repérages, dénichés des endroits  qui n’ont pas bougé depuis les années 40 et qui permettraient aux lecteurs qui avaient envie de jouer de retourner sur les lieux et de les retrouver, grâce au code indiqué à chaque page de « Spirou sous le manteau ». Je voulais moins une reconstitution d’époque mais je voulais surtout jouer sur l’émotion de l’image. Je la voulais belle et intéressante, sans sacrifier à sa qualité. Nous avons même travaillé à m’attribuer une fausse biographie, comme si c’était mon ancêtre qui avait fait ces photos, par blague.

Les tirages montrés à l’exposition sont en argentiques, car je voulais un bel objet.

Etre photographe à l’heure actuelle est un métier difficile à l’heure actuelle, car tout le monde s’imagine pouvoir le faire puisque avec les appareils numériques il y a une barrière qui est tombée. A force de toutes ces photos qui défilent constamment, l’œil est blasé, mais on voit encore le travail du professionnel capable de gérer l’éclairage, car en photographie c’est la lumière dicte l’image.

 

L’exposition « Groom à tous les étages » célèbre aussi Franquin, celui qui a fait de Spirou ce qu’il est devenu, non pas par des originaux mais par des reproductions d’une grande qualité de rares crayonnés et d’illus méconnues ainsi que des plexis et plaques métalliques recolorisées par Fred Janin, complice d’André.

De Rob-Vel vous ne trouverez rien, tout simplement parce qu’il n’existe plus rien de ses dessins, les seuls qu’ont peut trouver n’étant pas d’époque.

Quelques planches et illustrations également de celui qui reçut de Franquin l’autorisation d’adopter le marsupilami pour en faire un héros à part entière : Batem. Aussi des planches de deux albums de Spirou qui ont marqué ces dernières années, le groom d’Emile Bravo (Le Journal d’un ingénu) qui édité à petit tirage a vite été épuisé et est devenu un des best-sellers de Dupuis.

 

Spirou a été créé en 38, un préadolescent, entre la mascotte créée pour le journal et ce qu’il est devenu après-guerre avec Franquin. Entre les deux il s’est passé quelque chose psychologiquement, expliquant pourquoi et comment ce groom est devenu un héros. Fatalement, il s’est passé un trauma qui a changé le personnage, qui a prit conscience de ce qu’il était, qui s’est humanisé et est devenu un aventurier. Il s’aperçoit qu’il est insignifiant, qu’il est un groom et s’aperçoit qu’il peut agir dans le monde des humains.

Quand j’ai crée le Journal d’un ingénu j’ai su tout de suite de quoi je traiterais : Spirou est un personnage que je lisais étant enfant et j’avais des trucs à dire là-dessus. Je me demandais pourquoi ce type en rouge, ce groom avait pu devenir aventurier, ce n’est pas évident pour lui alors que pour un personnage comme Tintin c’est plus logique, puisqu’il est reporter. Je travaille sur un deuxième épisode, la suite directe de celui-ci, où on va savoir comment il est devenu un héros…

 

Et pour finir, le Spirou très « atom style » de Fabrice Parme sur un scénario de Lewis Trondheim. A noter que des esquisses, projets et autres illustrations de Parme prolongent l’expo Spirou à la galerie parisienne. 

 

Lewis Trondheim me bassinait pour faire un Spirou, je n’y croyais pas trop. Alors j’ai fait un essai et cela a plu. C’est vraiment Lewis qui a cherché à ce que j’en fasse un car cela me paraissait impossible. Je suis parti du groom, non pas dans un hôtel mais sur un paquebot dans les années soixante et Trondheim est parti dans son délire et l’histoire s’est bâtie à partir de là. En tant que dessinateur et en tant que tel j’ai cherché un point de vue plastique et visuel, j’ai choisi les années soixante. Quand j’étais à Angoulême on m’a fait remarquer que je dessinais comme les illustrateurs des studios UPA. Je m’y suis intéressé et j’ai découvert que UPA avait révolutionné le dessin animé. UPA s’est emparé de la télévision en développant un style qui a marqué les années 50,60,70. Quand j’étais gamin j’adorais mister Magoo, cet étrange personnage myope qui réinventait les grands classiques de la littérature mondiale.

J’ai placé Spirou dans les « trente glorieuses » comme Franquin qui avait le goût du design, sauf que lui n’avait qu’à regarder autour de lui pour dessiner ses décors, alors que moi, il a fallu que je me documente pour dessiner et recréer un univers qui fasse années 50-60, non pas pour refaire comme on faisait à l’époque mais faire un truc dans les années 2000 qui fasse années 50-60… Mon goût à moi est plus américain que franco-belge. J’ai travaillé pour des dessins animés américains alors j’ai cela dans ma culture, les Américains procèdent à l’envers par rapport aux européens : ils ont une vision très illustrative. En Europe, quand on cherche à faire la bonne image on fait un personnage en commençant par la tête, puis le corps et ensuite on l’anime, par exemple en le faisant marcher. Les Américains font le mouvement d’un trait et construisent le personnage sur ce mouvement.

Quant à mon scénariste avec qui je travaille depuis de nombreuses années, Lewis Trondheim, il part d’une idée de départ puis il improvise, son histoire est construite de cinq pages en cinq pages, il a un début et une fin mais pour aller d’un point à un autre il improvise. Il n’est jamais dans la relecture quand il fait les choses de A à Z, contrairement à moi car quand j’écris une histoire, il y a plusieurs versions avant d’arriver au bon résultat, je me relis constamment. Lui crée une suite de scénettes, il lance des pistes, qui se composent de fil qu’il lance et qu’il va tirer selon l’inspiration.

Pour le travail du dessinateur : l’étape la plus artistique c’est le crayonné, c’est là qu’il y la recherche de la mise en scène. Quant à l’encrage c’est de l’artisanat, faire l’épure de tout ce travail complexe d’images par strates à la table lumineuse. C’est un plaisir de l’artisan qui veut faire son dessin proprement, une respiration, de façon à ce qu’il soit clair et lisible. L’artiste est dans le crayonné, l’artisan est dans l’encrage !

photos JJ Procureur
 

SPIROU : GROOM A TOUS LES ETAGES à La Galerie Petits Papiers du 13 septembre au 6 octobre 2013

 

Identification (2)