DENIS VAN P EVOQUE JOSEPH CAREY MERRICK

Au départ il y a le film de Lynch vu à la télévision. Ayant douze ans j’ai éprouvé un sentiment ambigu… Le traitement de Lynch, le noir et blanc, l’aspect du personnage, j’avais l’impression qu’il était à ranger dans la catégorie des monstres à la Frankenstein, à la Dracula… mais c’était un bon gars…

J’ai lu sa biographie mais à douze ans, je n’ai pas tout compris et j’ai trouvé cela fort sombre, avec cette pesante ambiance victorienne qui donnait une image de la noirceur de l’époque, la bestialité des gens de moins bonne condition sociale, vivant dans un état proche de l’animal, leur volonté première étant de se nourrir et d’avoir un semblant de logement…
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J’ai entamé la conception de Joseph Carey Merrick en 2005 et étant arrivé à un total de 50 pages j’ai essayé de le fourguer aux maisons d’édition qui n’étaient pas intéressées par le sujet. En 2010, j’ai entendu parler de Sandawé et j’ai contacté Patrick Pinchart par mail. Il m’a répondu le lendemain… Il était intéressé mais il voulait des aménagements car à son avis il n’y avait pas assez de travail romanesque. J’ai eu du mal car j’avais conçu l’histoire sur un autre mode, je n’avais pas envie de faire dans le romanesque, je ne voulais pas créer de tension dramatique, ni d’intrigue, je voulais raconter très simplement, focaliser sur des éléments anecdotiques que je trouvais plus parlants.

Sa biographie est une succession de moments sombres, une descente aux enfers… sauf un élément éludé dans ma première approche : il aurait fini sa vie dans un hospice de pauvre si un médecin ne s’était occupé de lui. Celui-ci s’est battu pour que Merrick puisse séjourner dans un hôpital qui ne s’occupait pas des malades incurables, il est allé bien au-delà de la simple approche alors que ses collègues estimaient qu’il faisait cela pour la gloire, non, il a fait en sorte que Merrick termine décemment sa vie…

Il faut savoir que Joseph Merrick était considéré comme un gros fauteur de trouble, il attirait les foules, les gens s’agglutinaient autour de lui, ils avaient ce côté animal, indécent, et plus sa maladie empirait plus il amassait la foule autour de lui, contre son gré. Comme il s’était fait jeter de partout à Londres, la ligue des bonnes mœurs ayant réussi à interdire ce genre de spectacle, son manager, Norman, l’envoit à Bruxelles où il se retrouve entre les mains d’un imprésario autrichien qui lui tire son fric et le lâche en pleine nature. Imaginez-vous un gars d’une vingtaine d’années, complètement difforme, qui ne parle qu’anglais et encore mal à cause de son handicap et qui veut rentrer chez lui… Il se fait chasser à coups de bottes de Bruxelles et va rallier Ostende à pied, mais le capitaine du ferry refuse de l’embarquer. Alors il ralliera Anvers où il a réussira à prendre un ferry jusqu’en Angleterre. De retour à Londres, il sera exposé dans un vieux bâtiment à l’abandon entre un prêteur sur gages et un marchand de légumes ! Menacé d’expulsion il tend la carte de visite qu’un médecin qu’il a rencontré lui a laissé et sa chance va enfin tourner. Ce médecin va le prendre sous son aile et la bonne société londonienne va lui donner suffisamment d’argent pour qu’il vive décemment jusqu’à la fin de ses jours, dans un deux pièces dans les caves de l’hôpital. Il se baladera dans le parc de l’hôpital mais le médecin va aussi organiser des sorties pour lui, qui souhaite découvrir la nature. Il ira chez des amis dans un cottage de la campagne anglaise.

Ce n’était pas un grand esprit mais il savait lire et écrire, ce qui est rare pour l’époque pour un individu de sa condition. Au début le médecin pense qu’il est idiot et en est soulagé parce qu’ainsi il n’a pas conscience de sa condition mais au contraire, en plus d’être intelligent, il est sensible…

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Quant à son décès, la version la plus courante est qu’il ait tenté de dormir allongé mais a suffoqué à cause du poids de sa tête sur sa trachée pendant son sommeil. L’autre version est qu’il aurait eu une crise cardiaque, ses difformités prenant beaucoup d’énergie. On l’a autopsie mais le verdict est resté vague…
Depuis que l’ouvrage est paru il y a une polémique au sujet du style graphique employé, beaucoup de gens sont perplexes, il y a des réactions radicales…
Jean Van Hamme a dit qu’une histoire réaliste doit se traiter avec un dessin réaliste et une histoire humoristique avec un dessin plus humoristique mais je ne suis pas d’accord avec ça. Je suis un grand fan de l’école de Marcinelle et particulièrement de Conrad. Quand tu lis les Innommables, c’est caustique, il y a de l’humour mais l’histoire reste sérieuse, on est loin de Boule et Bill ! C’est très adulte ! Comme Soda de Warnant, c’est une BD noire et je trouve que dans ce genre de BD les situations dramatiques ressortent mieux et la rondeur du graphisme fait mieux passer les situations, font ressortir l’aspect dramatique des scènes…

La librairie BD-World de Waterloo expose l'oeuvre de Denis Van P. du 24 mai au 21 juillet.
Les photos sont de JJ Procureur.

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