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Interview: Bernard Yslaire ou la Rhapsodie en rouge.
Bernar Yslaire est un auteur en constante mutation. Très tôt, il déborde du format étriqué de la planche pour aborder l’illustration et la BD informatique et numérique, dont il est un pionnier, un précurseur… Avant d’aborder sa passionnante carrière, l’auteur évoque le passé, le présent et l’avenir de la BD.
Shesivan : La bande dessinée exposée lors de grands évènements comme celui-ci, vous dites-vous qu’elle a enfin ses galons de 9ème Art (en tant qu’art majeur) ?
Bernar Yslaire : La BD n’a pas attendu cette expo… C’est l’émancipation progressive des cases… A l’origine l’auteur de BD publie dans des journaux, ensuite dans des albums, il sort des albums pour faire des expos dans des librairies BD, ensuite des galerie BD et maintenant dans les foires internationales d’art.
A présent, il y a cette évolution mais parmi les planches exposées, il y a celles des grands anciens qui nous ont précédés et qui faisaient déjà de l’art, du 9 ème art, des Hergé, McCay, Hermann, Jacobs...
Hergé, je ne suis pas fan de base mais j’admire sa cohérence graphique, le nombre de questions auxquelles il a répondu. Il a amené la BD a un niveau où les gens n’ont plus honte de se balader un album sous le bras. Si on fait la différence entre la France et la Belgique, niveau patrimoine BD, le grand monsieur de la BD belge, c’est avant tout Hergé. En France c’est Astérix mais Astérix c’est des « gros nez » et cela ne véhicule pas du tout la même image que Tintin. Tintin est une image classieuse... Cela a ouvert une reconnaissance plus large que celle du public BD…
Nous sommes tous les enfants de Hergé, que nous le voulions ou non.
Il y a de l’ambiance dans son œuvre, une vraie réflexion, une intelligence dont nous héritons et qui nous permet à nous auteurs de trouver des ambitions graphiques. Certains grands auteurs BD n’ont pas forcément d’intérêt pour le graphisme en tant que tel, ils utilisent le graphisme comme une écriture. Dans cette mesure là ils ont peut-être moins leur place dans ce genre d’exposition. Ceux qui privilégient le dessin vont plus naturellement trouver leur place dans ce genre d’expos même si leur BD n’a pas toujours un succès populaire.
Shesivan : Quand les planches de Hergé se vendent à des centaines de milliers d’euros, ne pensez-vous pas qu’il s’agisse de spéculation artistique ?
Bernar Yslaire : Bien sûr mais c’est comme des Picasso ! On sait tous que le marché de l’art est régi par quelques locomotives qui sont à tort ou à raison les gens qui vendent le plus cher. Je ne sais pas si le tableau qui s’est vendu le plus cher est le plus beau tableau de l’histoire de l’humanité. C’est une conjoncture entre un talent, des considérations économiques, un moment de l’histoire et l’opportunisme qui favorise la vente. Il y a pleins de facteurs qui font qu’une oeuvre d’art va se vendre extrêmement cher mais malgré tout ces grands anciens de la BD sont incontestables – on est tous heureux de savoir qu’une planche d’Hergé vaut si cher parce que ça tire le marché de la BD.
Hergé est le cheval de Troie du marché de l’art !
Shesivan : Plus de 5000 BD en 2010. La quantité remplace la qualité ?
Bernar Yslaire : Actuellement pour l’éditeur il y a cette tentation de produire plus. Lui s’y retrouve, les auteurs pas car ils savent très bien que le portefeuille de l’acheteur BD n’est pas extensible. Celui-ci doit faire des choix devant cette quantité.
Avant, à l’aube des années 80, on pouvait tout s’acheter en une année. Il y avait un manque tel chez l’acheteur BD que celui-ci n’hésitait pas à se procurer des BD qui n’étaient pas forcément dans son genre. A présent, noyé dans la masse, il va réduire ses achats, même pour des choses qu’il préfère, c’est dommage…
Shesivan : La deuxième génération générée par le journal Pilote et comme Moebius et Druillet, des auteurs français. Ont-ils ont remplacé les Belges ?
Bernar Yslaire : C’est en tout cas ce qu’ils croient ! (petit sourire entendu) Les Français ont remotivé les Belges car le plus grand pays a absorbé le petit, c’est ce qu’on appelle l’impérialisme. A un moment donné les chose ont commencé à se passer en France parce que les éditeurs étaient français, ayant racheté les boîtes belges. Ces éditeurs français ont privilégié la création en France, c’est comme ça…
Si on examine l’histoire de l’art, les choses se passent toujours dans les pays les plus riches. Ce ne sont pas dans les pays pauvres que les grands artistes naissent et s’ils naissent dans les pays pauvres, ils émigrent et vendent dans les pays riches. La création actuelle se passe en France, c’est indéniable.
En tant que pro je remarque qu’il y a des tas d’auteurs belges passionnants mais qui n’ont pas la même aura parce qu’ils ne sont pas à Paris…
Même pas la France !
Paris !
Paris dirige !
Même le festival d’Angoulême se décide à Paris !
Mais les Français de la génération 60, que devaient-ils dire de la Belgique à l’époque ? J’avais rencontré Claire Bretecher qui disait que tout se passait à Bruxelles avant 68. Elle était venue chez Spirou, mais après 68 la vague française a été déterminante.
Cependant des auteurs comme François Schuiten n’ont rien à envier aux Français.
Schuiten est un homme important dans l’histoire de la BD !
Shesivan : Pour vous qui pratiquez internet et les formes d’arts alternatives à la BD, la troisième génération sera-t-elle essentiellement numérique ?
Bernar Yslaire : Il y a un glissement… Nous sommes peut-être la dernière génération qui travaille sur papier… Moi je suis déjà très mixte et quand je vois les jeunes auteurs de 20 ans, pour la majorité en tout cas, les couleurs sont faites par ordi. Alors, il n’y a plus qu’un pas… Il y a déjà des auteurs qui travaillent exclusivement sur matériel numérique.
Moi j’en fais partie, la moitié de certains de mes albums ont été fait numériquement. Parce que j’aime ça, que c’est intéressant et que je remarque que je suis de moins en moins seul. Il y a 10 ans j’étais le seul à en parler ou j’avais l’impression que j’étais un cas isolé ! Inévitablement nous allons vers un marché BD numérique mais est-ce que cela va supprimer les versions papiers ? On pourrait très bien envisager le numérique pour la BD populaire, parce que le vecteur diffusion est plus simple et le papier, pour une BD plus créative, mais qui existera dans des tirages plus confidentiels.
Le cinéma n’a pas tué la peinture !
Shesivan : Vous êtes donc un pionnier de la BD informatique et numérique…
Bernar Yslaire : Oui, on peut dire les choses comme ça !
Shesivan : Vous aimez la couleur rouge ?
Bernar Yslaire : Je suis fasciné par cette couleur, c’est ma marque de fabrique, elle m’inspire constamment, c’est une couleur que je remarque plus que les autres, que je remarque constamment – beaucoup d’artistes ont des couleurs fétiches – moi c’est le rouge.
Shesivan : Faut-il nécessairement être jeune pour faire partie de la nouvelle génération ? L’esprit jeune, non ?
Bernar Yslaire : Je pense qu’il faut rester humble. On peut toujours avoir envie d’innover ! Moebius est resté dans cet esprit là, mais malgré tout l’impact n’est pas le même qu’un jeune qui débarque, qui bouscule, qui révolte… On ne peut être à la fois la personne qu’on découvre et la personne qui confirme !
Forcément on laisse des traces, vous vous faites connaître et cela fait partie de votre historique. C’est incrusté dans l’œil de celui qui regarde vos dessins. Mais on ne vous juge pas de la même manière, il y a plusieurs couches, c’est déjà du classique, vous ne pouvez pas bousculer parce qu’à la limite vous le décevriez ! Tandis qu’un jeune qui démarre - c’est la force de la jeunesse - aura cette immédiateté et obtiendra une réaction du public qui sera tout aussi spontanée, donnant ainsi l’impression qu’on découvre quelque chose !
Les amateurs de BD ont leur génération. Ce sont des gens du même âge, ils ont découvert ça et cela fait partie de leur culture. J’ai beau expliquer l’impact des Rolling Stones à mes enfants, cela ne les intéresse pas ! Le mouvement de l’art est un mouvement de balancier, on oublie jusqu’à ce qu’une nouvelle vague ramène au premier plan la génération de nos grands-parents.
Shesivan : Revenons à votre œuvre, à Sambre…
Bernar Yslaire : Je suis en train de dessiner le sixième Sambre qui devrait paraître en juin. Je reviens au dessin après avoir fait la mise en scène de Hugo et Iris que de jeunes auteurs ont redessiné. J’ai réalisé les crayonnés, les esquisses… Loin d’être frustré parce que j’ai l’impression de raconter mon histoire, je me sens comme un compositeur de musique qui écrit des partitions, qui est chef d’orchestre et qui utilise des interprètes qui exécutent mes esquisses, mes « notes » à leur manière…
Shesivan
(Propos recueillis le mercredi 19 janvier 2011 au BRAFA)
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