Série: Sang Noir #
Auteurs: Jean-Luc Loyer
Editeur BD: Futuropolis
Une chronique BD: Génération BD
Au début du XXème siècle, la France connaît un essor industriel important avec l'apparition de nouvelles innovations technologiques. Dès 1905, la demande de charbon explose avec le développement du chauffage urbain, des chemins de fer et des industries en tout genre. Le département du Pas-de-Calais avec ses 120 puits de mine constitue le fer de lance de cette course effrénée à l'extraction massive du charbon. Il faut sans cesse produire plus et plus vite. Cette course au profit n'est pas sans danger pour les mineurs pour lesquels le patronat sacrifie sécurité et santé en faveur de plantureux bénéfices. Et ce malgré les acquis sociaux obtenus dès la fin du siècle passé par des grèves et mouvements syndicaux. La terrible catastrophe de Courrières en ce 10 mars 1906 en est le triste reflet avec ces 1099 morts dont 242 enfants.
L'auteur Jean-Luc Loyer, originaire du Pas-de-Calais débute son récit en le plaçant dans le contexte historico-social et politique de l'époque pour ensuite s'attacher au parcours du jeune Pruvost, 12 ans. C'est en compagnie de ce galibot, apprenti mineur et d'un autre mineur confirmé accompagné lui aussi d'un débutant que le lecteur peut suivre le quotidien et le destin de ces hommes du fond et découvrir les prémices de la catastrophe et de l' "après".
Tout commence en ce 6 mars 1906 par la découverte au fond de la veine Cécile d'un incendie pour lequel une équipe est envoyée pour monter un mur de briques afin d'étouffer le feu.
Le 9 mars le feu brûle toujours dans la galerie et la température augmente; il a été décidé de construire un deuxième mur. Pendant ce temps-là, les mineurs continuent de descendre au fond car la compagnie de Courrières ne veut en aucun cas ralentir la production malgré les avis défavorables des délégués mineurs. Les tirs de mine ont même lieu malgré le danger, rendement oblige.
En ce sinistre 10 mars, une violente explosion retentit et une trombe de flammes se propage en quelques secondes sur plus de cent kilomètres de galeries. Jean-Luc Loyer s'est attaché à retranscrire le nom, le prénom et l'âge de chacune des 1099 victimes sur plusieurs pages en milieu de récit et l'ampleur du drame interpelle le lecteur. Impressionnant ! Seulement 576 mineurs échapperont à la mort ainsi que 13 autres "échappés" (escapé en chtimi picard) : le mot "rescapé" que nous connaissons fut utilisé pour la première fois par la presse à l’occasion de la catastrophe de Courrières et passa ensuite dans le langage courant. Par la suite l'auteur dépeint avec réalisme l'enfer sous terre et la gestion des secours.
Dès le lendemain des obsèques du 13 mars, les mineurs tiennent pour responsable la compagnie minière et décident de partir en grève pour de meilleures conditions de travail. Ils seront bientôt suivis par des milliers d'autres mineurs. La catastrophe de Courrières a mis le feu aux poudres. Des manifestations se répandent dans d'autres bassins miniers. On crie à la révolution. Clemenceau, alors ministre de l'intérieur, fait appel à l'armée. Le soulèvement peu soutenu par l'opinion publique perdra en intensité et les mineurs n'y gagneront pour finir que de très maigres avantages sociaux. La France a besoin de son charbon : rendement, productivité et bénéfices sont les maîtres mots !
Un récit fort, poignant, extrêmement bien documenté sur cette catastrophe industrielle et humaine avec un dessin semi réaliste aux couleurs de circonstance qui soulignent fort à propos le côté dramatique du récit sans verser dans le larmoyant. Jean-Luc Loyer a su trouver le ton juste pour nous faire vivre une des pires tragédies minières et perpétuer la mémoire de ces mineurs. En fin d'ouvrage, on retrouve des témoignages, l'éditorial du 11 mars 1906 de Jean Jaurès dans L'Humanité, photos, lexique et références bibliographiques qui complètent utilement le récit.
Dans la même veine, il y a l'album"Marcinelles 1956" avec une approche plus romancée autours d'un autre accident minier. L'époque et l'ampleur de la catastrophe diffèrent mais ces récits se ressemblent par bien des points car la tristesse est la même pour tous.
Gladys