Au bout du monde
Scénariste : James TYNION IV
Dessinateur : Martin SIMMONDS
Editeur: Urban Comics
L'agent spécial Cole Turner étudie depuis des années les théories conspirationnistes qui s'exposent sur les forums du monde entier et transmet ses enseignements à l'académie du FBI de Quantico. De l'assassinat du président Kennedy à l'alunissage de 1969, en passant par la crise des missiles de Cuba, l'information est sans cesse remise en question par les complotistes les plus fervents. Certain qu'il comprendra mieux leur fonctionnement et leur logique, Turner décide de s'immiscer au coeur d'une étrange réunion, une réunion qui le conduit à douter de la réalité même... Se pourrait-il que les classes dominantes soient à l'origine de faits qui n'ont jamais eu lieu ? Approché par le Département des Vérités, une agence gouvernementale occulte, Cole va rapidement être exposé à de nombreuses réponses bien différentes de ce qu'il imaginait. Des réponses qui ne manqueront pas de soulever de nombreuses autres questions.
Une plongée au coeur des plus grands complots de l'Histoire !
Voilà un sujet qui est plus qu’ancré dans l’actualité. Jamais le terme « fake news » n’aura été aussi surexploité par « celui dont on ne dit pas le nom ». Jamais notre information n’aura autant été gangrenée par ce qui peut aujourd’hui être considéré comme la lèpre de l’info…
Loin d’être un problème récent, il est maintenant source de profit et l’on parle ici de millions de dollars, voire plus. Dès 1963 avec la mort de Kennedy et puis peu de temps plus tard avec le premier homme sur la lune en 1969, les conspirationnistes sont montés au créneau pour dévoiler une réalité bien à eux. À vrai dire, tous les événements majeurs aux États-Unis ont eu droit à leur « moment de gloire » auprès de ces nouveaux extralucides qui eux seuls, voient la « vérité pure ».
Je parle des USA en particulier parce qu’il existe une réelle culture de la désinformation, aidée par les agissements douteux de la CIA entre autres. Malheureusement, cette contagion arrive de manière galopante chez nous, à cause des géants des réseaux sociaux, bien incapables de contrôler ce mouvement… Ajoutez à cela le manque de volonté du public à analyser l’information reçue et le tour est joué : des personnes peu scrupuleuses sont aujourd’hui portées en héros et ont le droit de parole sans aucune peine. On se rapproche toujours un peu plus de Idiocracy1… Rendez-vous compte, la terre est plate, on nous ment depuis tellement de siècles…
C’est sur ce thème certes peu réjouissant, mais tellement passionnant, que l’écrivain le plus en vue du moment, fort de son Eisner Award 2021 comme meilleur scénariste, James Tynion IV, nous livre une série sur une mystérieuse agence dont le but est de contrôler tout ce flux de fausses informations. Il en profite au passage pour affirmer une équipe 100 % gay en y mettant un héros ouvertement homosexuel, comme les deux auteurs. C’est encore trop rare et trop peu commun que pour ne pas être mis en avant. D’autant plus que la communauté gay a été plusieurs fois malmenée par des théories du complot, dernièrement avec le « pizzagate2 » par exemple.
Évidemment, on ne s’attend pas avec ce type de thème à découvrir une histoire et un tracé simple et épuré. La couverture trahis d’ailleurs très bien la volonté de Martin Simmonds, ancien graphiste, de s’éclater, je ne vois pas d’autres mots sur cette histoire. Bien que ce soit ultra dynamique et complexe, ça n’est pas pour autant illisible si vous acceptez d’emblée ce choix stylistique et que vous vous laissez porter par ce flux sous acide.
Il en va de même, bien entendu, pour le scénario qui cherche à nous noyer à chaque instant et nous garde de façon perverse juste à fleur d’eau. C’est prenant, intéressant et inquiétant à la fois. Vous n’apprendrez rien, douterez de tout et fermerez ce premier tome avec encore plus de questions qu’avant. Mais vous aurez certainement passé un moment intense que vous n’oublierez pas de si tôt !
1. Idiocracy est un film comique satirique américain réalisé par Mike Judge. Il sort en salles en 2006.
Réalisée par le créateur de Beavis et Butt-Head, cette comédie satirique de science-fiction raconte l'histoire de deux personnes qui, après une hibernation de cinq siècles, se réveillent dans une société dystopique rongée par l'anti-intellectualisme, le mercantilisme, la surpopulation et la dégradation de l'environnement. Le récit du film emploie un hypothétique effet dysgénique pour expliquer ceci : les idiots font plus d'enfants que les gens intelligents, ce qui entraîne une très nette baisse du QI moyen sur le long terme. Cet argument pseudo-scientifique permet aux scénaristes d'amplifier et de parodier les travers populistes et mercantiles de la société américaine (Source: Wikipedia)
2. La Pizzagate est une théorie conspirationniste prétendant qu'il existe un réseau de pédophilie autour de John Podesta, l'ancien directeur de campagne d'Hillary Clinton, par le biais de diverses interprétations et constructions, notamment en rapport avec une pizzeria et des courriels privés divulgués par WikiLeaks.
Cette théorie du complot a émergé sur internet en novembre 2016, et particulièrement sur les sites 4chan, Reddit et Twitter par des membres de l'alt-right, des journalistes conservateurs, et d'autres qui voulaient poursuivre Hillary Clinton en justice pour l'affaire des courriels. En réaction, un homme de Caroline du Nord a voyagé jusqu'au Comet Ping Pong ( pizzeria gay) pour enquêter sur la conspiration et a tiré au fusil d'assaut à l'intérieur du restaurant. Le propriétaire du restaurant et les employés ont reçu des menaces de mort venant de conspirationnistes4.
Cette théorie a rapidement été réfutée par les services de police, et les médias américains. Ces derniers ont par ailleurs souligné la rapidité et l’emprise que peuvent avoir des constructions collectives comme le Pizzagate sur le rapport qu’entretiennent les individus avec les faits et la vérité. (Source: Wikipedia)