Pilote Sacrifié
Scénariste : Naoki Azuma
Dessinateur : Shoji Kokami
Editeur: Delcourt
Résumé :
Sasaki Tomoji est aviateur à l'école des pilotes de l'armée de terre de Hokota. Ses capacités sont très vite remarquées et il devient pilote d'attaque spéciale dans 4e Corps aérien. La mission qu'il se voit confier consiste à se jeter avec son appareil sur l'ennemi. Il devient un Tokkôhei, plus connu en occident sous le nom de Kamikaze. Découvrez comment Tomoji a pu rentrer vivant à neuf reprises.
Avis :
Les éditions Delcourt/Tonkam nous présentent une nouvelle série historique ce mois de février avec Pilote Sacrifié.
Ce manga scénarisé par Naoki Azuma et illustré par Shoji Kokami est en cours depuis 2018 au Japon. Il compte déjà 10 volumes à son actif et relate l’histoire vraie de Sasaki Tomoji, pilote kamikaze durant la Seconde Guerre mondiale. Ce dernier fut envoyé à neuf reprises sur des missions suicide dont il a réchappé à chaque fois.
Adapté du roman de Shoji Kokami, l’auteur a interviewé Sasaki de son vivant (ce dernier étant mort en février 2016 à l’âge de 92 ans) pour créer son livre.
Qui dit histoire vraie pour les Japonais, dit toujours romancée et embellie, voir même, parfois, portée sur un piédestal. Ce manga nous intéressait fortement, on en espère du bon ! Les éditions Delcourt/Tonkam nous offrent déjà du travail de qualité avec une jaquette en papier mat cartonné et une très belle peinture du héros principal.
Lorsque nous ouvrons le livre, on est mis directement face à la scène où Sasaki Tomoji se sacrifie à bord de son avion. On pourrait croire que l'on rentre dans l'action directement mais non... Deux pages plus tard, nous voilà dans un flashback de son enfance.
Au beau milieu d’un village de campagne, Sasaki est le sixième enfant d’une famille qui en compte sept. Il est né le 27 juin 1923. Encore en primaire, chez lui, il passe son temps sur le toit de sa maison à regarder le ciel, car il est fou amoureux des avions.
A cette époque, on forme les garçons à devenir de bons soldats de la nation. Lui, ne veut pas particulièrement en devenir un, mais simplement voler dans le ciel… En 1940, à 17 ans, il entre au centre de formation des pilotes de la région de Sendai. Même si cette école appartient au privé, du fait de la guerre, l’armée en a pris le contrôle. Après une année de formation et grâce à son talent, il devient formateur dans cette école. Puis, suite à la guerre du Pacifique, à 21 ans, il est muté à la division aérienne d’instruction de l’armée de terre et passe son temps à faire des exercices de bombardement en piqué à bord d’un bimoteur.
Ceci regroupe seulement les 41 premières pages de ce premier tome qui en compte 200…
Le récit va vite, les explications de sa vie sont claires et lisibles. Ce scénario a été très bien pensé pour que chaque évènement ait son sens, mais ne prenne pas trop de temps afin de laisser l’histoire avancer… C’est du beau travail scénaristique !
Les dessins de Shoji Kokami sont beaux, dynamiques et réalistes. Entre poésie, sobriété et action, ils correspondent parfaitement à l’ambiance voulue par l’auteur. Ce dernier a même étoffé son récit d'une véritable photo de l’escadrille des pilotes-suicides accompagnant le héros de cette histoire ! Le sergent Sasaki étant le seul survivant de cette équipe nommée « Banda ».
Après une première partie exposant les bases de l’histoire de ce jeune homme, l’auteur revient à notre époque, en 2015. Sasaki est vieux de 92 ans, sur son lit d’hôpital. Ce dernier ne voit plus, mais repense à sa jeunesse dans l’armée. C’est là que le « vrai » récit commence, avec sa période en tant qu’instructeur à la division de l’aéronautique lorsqu’il avait 21 ans. Les brimades qu’il a pu avoir de la part des soldats, car il venait du secteur privé. Sa rencontre avec le capitaine Iwamoto Masumi son idole et la « naissance » des kamikazes.
En effet, vu la complexité pour larguer des bombes correctement afin de toucher l’ennemi, la direction tactique de l’État-Major a eu comme « bonne idée » de réaliser une arme destinée à se faire sauter en installant des percuteurs à l’avant des avions. Ce dernier deviendrait donc une bombe. On pourrait croire que les soldats patriotes étaient prêts à donner leur vie sans condition, mais, que du contraire.
On nous divulgue les discussions de ces hommes sur le non-sens de cette invention. On se retrouve face à leur surprise, à leur incompréhension, leur colère, leur peur et leur douleur… Un avion s’écrasant sur un gros bateau ne ferait que le salir, pas le couler… Ces pilotes pourraient servir mieux que sacrifiés ! Mais, au lieu d’écouter leurs propres soldats, les scientifiques rétorquèrent que le « pouvoir de l’âme fera naître des miracles »…
En lisant ces lignes, une colère monstre nous inonde, contre ses dirigeants bien au chaud qui ne font qu’envoyer leurs soldats en pâture comme de vulgaires choses remplaçables. Forcément, ceux qui s’insurgeront seront les premiers désignés à mort… L’histoire ne s’attarde pas que sur Sasaki qui ne se rend pas encore compte de ce qu’on va lui demander. Elle décrit surtout les derniers instants du capitaine Iwamoto, se préparant à « faire son devoir » et disant adieu à sa femme… Un moment véritablement poignant.
« Ce sera une mort glorieuse… Les vôtres se réjouiront… Faites-le pour eux aussi… On vous a choisis parce que vous êtes un excellent pilote… Mourez avec fierté… Il n’y a pas de non qui tienne, mourir pour sa patrie est un devoir… »
De plus, les avions sur lesquels ils devront voler sont tous juste sortis d’usine sans avoir subi de vols d’essai sérieux. Les cornes placées à l’avant sont une gêne et empêchent de stabiliser l’appareil. En d’autres termes, rien que d’arriver à destination pourrait leur être fatal avant même qu’il atteigne leur cible. Tellement de non-sens… On leur demande de suivre les ordres un point c’est tout.
« Quand on ne réfléchit pas… rien ne nous fait peur… »
Pas d’apologie ici, pas de piédestal sur la grandeur de la nation nippone. Juste un récit sur la stupidité de sacrifier des hommes en les enfermant avec leur bombe dans leur avion… Et ceci, alors qu’ils savaient que le Japon n’allait de toute façon pas gagner cette guerre.
Mes yeux piquaient alors que je regardais cette dernière image. C’est donc le regard embué que je vous l'écris : cette série vaut la peine d’être lue. Surtout avec notre actualité du moment ! Ne serait-ce que pour comprendre la stupidité de perdre des vies pour des guerres qui sont remportées par des personnes, qui elles, ne donneront jamais leur vie pour leur patrie…
Pour lire un extrait : ici !