Interview BD:
Didier Alcante
scénariste
Andrea Mutti
dessinateur
Série: Re-Mind # 1
Editeur: Dargaud
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C’est au septième étage (ciel) d’un hôtel du centre-ville avec vue imprenable sur la Grand’ Place de Bruxelles que j’ai rencontré Didier Alcante et son dessinateur Andrea Mutti pour parler de la parution de « Re-Mind » (Dargaud).
Shesivan : Pourriez-vous me donner la définition de « Re-Mind » ?
Didier Alcante : « Re-Mind » est un thriller, une BD policière d’action axée autour d’une technologie qui s’appelle re-mind, permettant d’enregistrer le fameux film de vie se déroulant devant nos yeux au moment où on meurt. J’ai imaginé que le FBI possédait cette technologie et s’en servait pour lutter contre le terrorisme.
Re-Mind est un jeu de mot entre 2 mots anglais : « remind » : se souvenir et « mind » esprit, une technologie qui se souvient de l’esprit, en fait. Je trouvais que ça sonnait bien…
Sh. : Vous ne trouvez pas qu’il a fallu un certain temps à la BD pour aborder le terrorisme et plus particulièrement les évènements du 11 septembre 2001 ?
D.A. : c’est une réflexion qu’on s’est faite avec Andrea (Mutti), surtout Andrea…En y pensant il y a très peu de BD, voire pas du tout qui parle vraiment des attentats du 11 septembre, comme montré dans les premières pages de notre album. Pourtant au cinéma il y a déjà eu quelques films à ce sujet…
Sh. : Effectivement « Re-Mind » sonne comme un film de cinéma, une série-télé. C’est un rythme soutenu voulu ?
D.A. : Oui, j’avais envie de faire ma propre série de TV américaine ou un film genre pop corn. Le public visé est un public habitué aux séries télés… les références pour « Re-Mind » sont « 24 heures chrono », « FBI portés disparus », « Alias » ou des films comme « Volte face » ou « Déjà vu », il y a une très grosse influence américaine.
Sh. : comment vous êtes-vous rencontrés, Andrea et vous ? Comment communiquez-vous entre vous puisque Andrea parle italien ?
D.A. : On se débrouille tous les deux en anglais, on communique par e-mail en anglais. Andrea comprend un peu le français, il comprend donc les grandes lignes de mon scénario et de toute façon, il le fait traduire en italien. Nous avons également un interprète au cas où il y aurait des malentendus et où si nous cherchons trop nos mots… Internet est un outil très facile qui nous permet de communiquer aisément. Mais c’est plus agréable de se voir, je n’aimerais pas travailler avec qq1 que je ne vois jamais. La BD est un travail séquentiel, on pourrait à la limite travailler totalement séparé, étant donné que chronologiquement il y a d’abord le scénario puis le dessin. Nous ne sommes pas obligés de travailler côte à côte…
Sh. : vous allez travailler à chaque fois en deux volumes ? Sur des formes de terrorisme différentes ?
D.A. : Ce qu’on va retrouver dans chaque cycle sera du thriller, de l’action, pas spécialement le terrorisme… aussi l’utilisation d’une technologie innovatrice et différente de ce qu’on connaît actuellement, comme ce casque qui permet de capter le film de vie.
Après, nous pouvons imaginer différentes options… Par exemple, dans un prochain cycle nous allons travailler sur le film de vie d’un des personnages principaux, qui va bien entendu mourir (mais on ne divulguera pas son identité) Comme on a accès à toute la vie d’un individu, on voit tous ses secrets… supposons que quelqu’un n’ait pas du tout envie que cela soit révélé et soit prêt à tuer pour s’approprier ce film de vie…
On peut aussi envisager la série sous des dimensions plus éthiques puisque tout savoir de la vie d’un individu et avoir la possibilité de tout rendre publique provoque des réflexions de question éthique… on peut partir sur pas mal de pistes différentes...
Sh. (s’adressant au dessinateur Andrea Mutti) : Pourquoi n’avez-vous pas fait un projet à vous lorsque vous avez été amené à dessiner le « nouveau » WTC ?
Andrea Mutti : Cela aurait été absurde d’inventer quelque chose qui sera puisque c’est le projet officiel existe, c’est une BD réaliste, qui se passe à New-York dans un futur très proche... Le lecteur doit avoir directement la perception de la réalité même si elle n’est pas encore actuelle…
Sh. : Vous avez fait vos premières armes dans le genre comics. Est-ce parce que vous aimez dessiner l’action ?
A.M. : J’aime dessiner l’action mais cela dépend des comics, j’ai fait Iron Man où il y a beaucoup d’action mais j’ai fait d’autres BD plus intimistes. Pour moi la BD est un cinéma sur papier…
Sh. : Du cinéma bon marché ?
A.M. : Bonelli, fondateur de la maison d’édition Bonelli en Italie avait dit à l’époque que la BD était le cinéma des pauvres. Le cinéma va chercher de très bonnes idées dans la BD, comme par exemple « The Watchmen », pour en faire des films…
D.A. : Si on imaginait Re-Mind en série télé, les budgets seraient conséquents, ici cela coûte nos petits droits d’auteurs et le papier et l’encre.
Sh. : « Section financière » c’est fini ?
A.M. : Non, encore un volume. C’était prévu en 4 tomes mais le scénariste (Malka) est un avocat qui travaille aussi beaucoup et n’a plus le temps de boucler ses scénarii. Ce qui me fait sourire c’est qu’on compare « Section financière » à IRS, mais ce n’est pas IRS qui a inventé la BD financière…
Sh. (s’adressant à nouveau au scénariste) : Didier Alcante, John Geb, personnage principale de « Re-Mind », est-il comme Jason Brice, un personnage désabusé ?
D.A. : Je n’y avais pas réfléchi dans ce sens là. Désabusé pas mais déçu par son fils (Ethan Geb) puisqu’il est devenu un voyou. Il est aussi probablement traumatisé parce qu’il était au cœur des attentats du 11 septembre en tant qu’urgentiste. C’est clair que ça doit marquer quelqu’un d’avoir vécu cela… Jason Brice a aussi subi des traumatismes, en tant que soldat durant la guerre 14-18 et ensuite il a été vraiment désabusé par la nature humaine… N’oublions pas qu’il est détective privé et qu’il traque les arnaqueurs qui sévissent dans le monde trouble de l’occulte. En effet, le Londres d’après-guerre est une période où les faux médiums ont proliféré. Ils faisaient croire à toutes les veuves ainsi qu’à toutes les personnes qui avaient perdu un parent durant les combats qu’ils pouvaient entrer en contact avec les disparus.
Le troisième volume de ses aventures est pratiquement bouclé et paraîtra dans le courant du mois d’août, marquant la fin d’un cycle. Son titre : « Ce qui est révélé » .
Sh. : Dans « Jason Brice », il est question d’un livre** racontant le naufrage du Titanic 14 ans avant que cela ne soit le cas. Vous l’avez retrouvé, ce livre ?
D.A. : Oui ! Il existe vraiment, je ne l’ai pas trouvé mais je l’ai lu en anglais (il n’existerait pas en français) c’est une nouvelle qui fait une soixantaine de pages : « Futility », publiée en 1898, soit 14 ans avant le naufrage du Titanic. L’intrigue présente des similitudes invraisemblables avec le vrai naufrage, jusqu’au nom du bateau : le « Titan »…
Quand le Titanic a coulé, les éditeurs se sont dépêchés de rééditer cette nouvelle en changeant le titre en : « Le naufrage du Titan ». Ce même auteur a imaginé un autre roman évoquant une guerre entre les USA et le Japon, suite à une attaque surprise de ce dernier pays dans le Pacifique, comme Pearl Harbour… Les Américains remportent la victoire en utilisant une « bombe solaire », qui fait penser à la bombe atomique ! C’est sont les anecdotes, ces coïncidences étranges créées par cet auteur qui m’ont donné l’idée de base de la série « Jason Brice ».
Sh. : Comment s’est passé votre rencontre avec Jean Van Hamme ?
D.A. : Cela remonte à 2005, à l’époque ou paraissaient mes premiers albums de la série « Pandora Box ». J’avais entendu dire dans la presse que JVH allait arrêter la série « Thorgal ». Comme j’étais fan, je lui ai écrit une lettre proposant mes services, sans être naïf puisque je me doutais que cela allait se bousculer au portillon. Mais j’étais très motivé. Il m’a répondu très vite… Il avait pris ma candidature au sérieux, il avait apprécié mon travail sur « Pandora Box » et, pourquoi pas, on en reparlerait au moment voulu. C’est finalement Yves Sente qui a eu le job mais JVH a gardé en tête que je ne me débrouillais pas trop mal… Il y a trois ans, il m’a proposé d’écrire un épisode de « XIII Mystery ». J’ai accepté et écris un scénario sur le colonel Amos qui sera publié l’année prochaine, en décalage avec les premiers épisodes qui sont déjà parus, parce que je travaille avec Boucq qui a un agenda surchargé.
Je me suis donné un temps de réflexion avant de prendre le personnage du colonel Amos, qui est un personnage important de « XIII ». J’ai relu toute la série, mis des post it, fais une liste de huit personnages, avec avantages et inconvénients, j’ai procédé à des éliminatoires pour finalement retomber sur le colonel Amos. C’est un personnage qui m’attire parce que c’est une figure historique de la série. Il est assez vieux, 65 - 70 ans, a un passé énorme dont on ne sait pas grand chose, c’est un personnage ambigu puisqu’il poursuit XIII avant d’en être un allié, inquiétant et rassurant à la fois… le personnage idéal pour une bonne série policière. Avec l’éditeur, nous avons alors établi une liste des dessinateurs avec lesquels j’aimerais travailler… Boucq était en tête de liste et il a accepté !
J’ai obtenu cette première collaboration avec JVH et cela s’est bien passé. Du coup il m’a proposé de travailler sur Rani, l’adaptation de sa série télé qui devrait être diffusée sur France 2 l’année prochaine. Le Lombard voulait en faire une adaptation BD et JVH n’ayant pas le temps de s’en occuper, il m’a contacté pour me demander si j’étais intéressé. Evidemment, cela ne se refuse pas de travailler avec JVH !
Quand j’étais plus jeune les murs de ma chambre étaient couverts de posters de « Thorgal »… si on m’avait dit qu’un jour j’allais travailler avec son créateur !
Sh. : Le métier de scénariste est-il une éternelle remise en question ?
D.A. : Ce qui est dur c’est qu’à chaque fois le scénariste part de rien, une page blanche et que va-t-on écrire, trouver une idée de départ, la développer. Ce n’est pas facile… Il faut provoquer l’idée, la travailler… Et à la fin de l’histoire, une fois le mot « fin » imprimé, on recommence… On s’autocensure, il faut convaincre l’éditeur mais aussi le plus important le lecteur, le faire adhérer à l’histoire. Et à partir de là, on peut envisager une série sur plusieurs années…
Merci à Tony pour la traduction.
*Gian Luigi Bonelli est un auteur et éditeur italien de fumetti, né le 22 décembre 1908 à Milan et mort le 12 janvier 2001 à Alexandrie (Piémont), à l'âge de 93 ans.
Il est connu pour avoir créé, avec Aurelio Galleppini, le personnage de Tex Willer, l'un des héros de bande dessinée italienne les plus connus et les plus lus. Il a également créé la maison d'édition Bonelli qui est l'une des plus connues en Italie.
**En 1898, 14 ans avant le naufrage du Titanic, l’écrivain Morgan Robertson publia un roman racontant le naufrage d’un navire dont le nom était le « Titan ». La similitude entre son roman et le naufrage du « Titanic » est fascinante et incroyable : même type d’accident : l’iceberg, même date, même taille du navire et manque évident de canots de sauvetage. Interrogé, Robertson prétendit écrire dans un état médiumnique… Dans « Jason Brice », l’auteur se nomme Morgan Fathoy.
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