La guerre des Gaules vue par Vincent Pompetti

LA GUERRE DES GAULES 2 : VERCINGETORIX par Tarek (Dessinateur) et Vincent Pompetti (Scénario) - édition TartaMudo
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  interview de Vincent Pompetti
Mes centres d’intérêts ont toujours été les histoires de science-fiction et de fantasy, ce pourquoi j’ai commencé avec « Planète Divine », un petit conte onirique. Mais comme ce sont des sujets difficiles à développer dans le milieu BD et qui nécessite un investissement, j’ai décidé de travailler depuis plusieurs années à des projets sans contraintes de temps, et ai privilégié pour les publications une collaboration avec Tarek, avec qui je me suis rapidement entendu, professionnellement et en amitié. Tout comme lui, mes autres sujets de prédilections sont le moyen âge et l’antiquité, mais là encore nous avons fait des détours avec « Raspoutine », puis la guerre froide avec le deuxième cycle de « Sir Arthur Benton ».Je ne pensais pas faire quelque chose de contemporain, mais les sujets de géopolitique me passionnent, ainsi que l’ambiance des années 50 et les films noirs, ou ceux d’Alfred Hitchcock. Ce qui fait que ce fut un grand plaisir, avec le scénario de Tarek qui plonge dans les arcanes de l’espionnage, et tout ce que cela implique.
Entre tout cela nous avons travaillé sur une histoire légère de corsaires et pirates, « Le Malouin », qui se veut une aventure décalée.
Enfin nous sommes venus à façonner les sujets de cœur qui mûrissaient depuis quelques temps, avec l’antiquité donc, et « La Guerre des Gaules », notre époque favorite et deux personnages emblématiques que sont Jules César et Vercingétorix, pas forcément aussi bien connu que les clichés ne le laissent supposer.
C’est une synthèse en deux tomes du livre de César, le dernier sort en cette fin d’année et sera normalement disponible pour le festival de St Malo. Au delà de l’aura légendaire qui entoure cette évènement dramatique, tant du côté celte que romain, nous avons voulu mettre l’accent sur la modernité naturelle de ce récit, ce qui permet, d’une pierre deux coup, de se rendre compte que ce n’est pas une conquête binaire ; les nations gauloises sont nombreuses et sont souvent belliqueuses entre elles ; beaucoup commercent déjà avec les romains, en sont proche dans la langue, ou se vendent comme mercenaire. Les deux civilisations puisent dans la culture grecque, d’une manière différente. Les celtes sont d’excellents forgerons, et les romains leur empruntent casques en bronze et cottes de maille. Les alliances politiques et stratégiques sont nombreuses et changeantes ; pour s’assurer la fidélité d’un vassal, on lui demande des otages .On voit se genre de choses se reproduire de nos jours, seule la forme a changé. Les intentions premières sont souvent cachées, ainsi, César ne part pas à la conquête des Gaules le glaive à la main, mais est appelé à l’aide par des Gaulois menacés par les Helvètes ! Ce qui lui permet de justifier sa présence sur le territoire, de tisser de nouvelles alliances, et de subtilement diviser. Certains spécialistes comme Jean Louis Brunaux pensent d’ailleurs que la guerre des Gaules est une sorte de conspiration entre César et certains chefs gaulois, pour diriger le territoire selon leurs intérêts. Bon nombre de batailles ont été remportées en amont, suite à des tractations étranges. Cela aussi fait penser à notre époque. Des peuples celtes étaient farouchement opposés aux romains, comme les Belges et les Carnutes, d’autres y étaient au contraire favorable. On a souvent effleuré ce sujet complexe, entre les récupérations nationalistes du 19e siècle, le mythe du sauvage gaulois et du civilisé romain (transposition du nègre et du brave colon, quelque part), et les clichés hollywoodiens.
Donc César passe beaucoup de temps en tractations politiques, avec une partie du Sénat de Rome qui lui est hostile, et un autre point que nous avons voulu faire sentir, c’est la psychologie et le moral des troupes. Il s’inquiète beaucoup de savoir quel est l’optimisme de ces soldats mais aussi l’ennemi, une bataille générant beaucoup de stress évidemment, et se gagnant sur l’ascendant psychologique, sans quoi aucune tactique ne peut fonctionner. En cela César était très fort et habile. C’est un peu le Sun Tzu occidental, La Guerre des Gaules était le livre de chevet de nombreux rois au moyen âge, ce n’est pas pour rien.
Enfin nous avons développé le côté celte et gaulois, si mal représenté par le passé. Nous avons pris le parti d’une hypothèse très plausible, que Vercingétorix était un jeune officier au service de César au début de la guerre, les arvernes étant allié à Rome à ce moment là, et les historiens romains le mentionnent comme tel, le traitant même de traître. Cela peut surprendre, mais à cette époque tout fonctionne par alliance, et celles-ci sont fragiles ; tel fidèle devient ennemi le lendemain. C’est le cas au moyen âge, c’est le cas du fameux Brutus, de Labienus, fidèle de César mais qui devient son ennemi durant la guerre civile ; et ce serait le cas de Vercingétorix également.
Cela nous a permis d’aborder et de montrer que les Gaulois étaient au même niveau de société que les romains, qu’ils avaient des villes développées, des vêtements et des coiffures raffinées, avec toujours l’inspiration grecque, surtout pour l’aristocratie. Mais surtout que c’étaient des petites nations ayant des intérêts différents, et quelque part, cette guerre a commencé à réunir, pour donner la civilisation gallo-romaine, puis les mutations que l’on connait. Celtes et latins sont donc des ancêtres importants. Ce n’est pas tellement la victoire ou la défaite, relative finalement, qui nous importe, mais bien ce métissage de culture, violent certes, mais qui fait notre histoire.
Editeur est un beau et difficile métier, qui permet soit de faire découvrir des choses nouvelles, ou de gérer l’existence d’un livre sur le long terme et de l’accompagner avec une intelligente logistique. Mais en bd cela ressemble parfois à un bateau de pirates. J’ai eu l’occasion de rencontrer David Lloyd, le dessinateur de « V pour Vendetta », un grand gentleman, et la première chose qu’il m’a dit, c’est qu’il ne comprenait pas l’édition en France, la surproduction… une certaine laideur d’âme s’est installée depuis longtemps, il y a du chantage existentiel, certains exploitent la fragilité du statut d’auteur sans trop de scrupules. Je n’aime pas m’attarder sur les choses négatives, mais il y a des moments pour dénoncer des mentalités qui sont dans le fond antidémocratiques. Le « culte de la gagne » de Lance Armstrong est un désastre, le mythe du progrès est un dogme de plus, et en son nom, on méprise, tout autant que les dogmes religieux, qui au nom de belles choses, ont contrefait la vertu pour un pouvoir personnel. Aujourd’hui de façon générale, c’est la même chose ; on a changé l’assiette, mais c’est toujours le même plat ; à savoir que la compétitivité, le marketing, ont remplacé la morale culpabilisante. Remplaçons la compétition par le challenge, le défi, l’audace, et au lieu d’usurper des idéaux, incarnons-les. Que n’a-t-on pas fait au nom du bien ? Le matérialisme est la façon la plus fatigante de voir les choses, et qui conduit souvent au machiavélisme. Un libraire – éditeur n’a pas eu peur d’écrire un mail un jour en disant sans honte que pour lui les auteurs étaient un « problème », car il fallait être leur assistant social, leur banquier, leur psychologue…on croit rêver quand on lit ça. Les êtres humains sont fait pour avoir du caractère, et échanger d’égaux à égaux, non ces rapports fait de perversion que l’on retrouve trop en général. Un autre éditeur n’a pas eu peur de me dire par exemple que Jean Girault ramait pour placer ses histoires de SF, et qu’il faisait Blueberry pour manger ! C’est une vision de survivant de la préhistoire ! Il me semble plus correct de dire que Girault s’est beaucoup amusé à faire ces albums excellents de Blueberry, et lorsque l’occasion de développer la science-fiction s’est faite, cela a donné de belles choses qui ont profondément marqué les générations. Au-delà de la tuyauterie des besoins matériels, il y a l’âme et l’esprit.
Cela dit on trouve aussi des gens charmants et compétents, de belles rencontres culturelles et humaines, ainsi que des projets vivants sur le long terme. Mais c’est un métier qui est en train de changer complètement, avec les nouvelles technologies, et également avec les auteurs qui ont envie de prendre de plus en plus de liberté. Car l’objectif est d’avoir un dialogue le plus direct et le plus populaire, il n’ y a plus un public mais plusieurs, et de faire un livre le plus abouti possible ; l’édition en cela est un partenaire, on verra ce qu’il deviendra, mais on peut penser qu’il y aura plusieurs types d’éditions, c’est déjà le cas. Aux états unis par exemple, il arrive qu’un petit éditeur ayant un succès, aille lui-même trouver un plus gros, pour lui vendre la licence ; ainsi ses risques sont récompensés, l’auteur y trouve son compte, et les gros éditeurs font ce qu’ils savent faire ; diffuser à grande échelle. Je ne dis pas que tout est parfait chez les anglo-saxons, mais commerce et intelligence doivent être plus présents.
Le scénario de Tarek est écrit comme une nouvelle, avec une description qui fait plonger et suggérer pas mal de choses en ce qui concerne les personnages, la psychologie .J’ai à respecter les dialogues et la pagination, pour le reste, j’ai la liberté de cadrer et mettre en scène comme je l’entend. C’est une bonne symbiose.
Pour les couleurs je travaille en direct sur la planche comme on dit, avec des techniques qui évoluent un peu, mais c’est à base d’encres de couleur et de gouaches, parfois acryliques. Les ambiances de peintures ou aquarelles m’ont toujours semblées compatibles avec la BD, et c’est mon tempérament. C’est un domaine qui demande à être développé, il y en a beaucoup moins que le trait noir et blanc, pourtant ce n’est pas spécialement plus lent, comme je l’entends parfois. On se fait de fausses idées parfois sur la façon de créer, il y a un manque de dialogue ; mais quand on aime faire quelque chose, le temps devient très relatif.
Notre démarche avec Tarek est soit de parler d’un fait historique méconnu, ou une facette méconnue, de sorte qu’on apprenne quelque chose tout en ayant l’attrait scénaristique, sans exagération. La réalité historique est parfois plus surprenante que la fiction, notamment dans « Sir Arthur Benton », où l’Angleterre a financé le parti nazi à ses débuts, pour contrer le communisme. Certains lecteurs pensent que c’est une uchronie, mais en fait non. On croit tout savoir, et pourtant nous nous connaissons mal. Cela fait seulement une centaine d’année que l’on se penche sérieusement sur notre passé avec plus ou moins d’objectivité, pour en faire un enseignement de masse. C’est peu pour connaitre ce qu’il y a derrière certains fait établi. Beaucoup de domaines et de personnages historiques restent à creuser, faisant le potentiel de nombre de scénarii intéressants. L’objectivité peut être un piège, elle existe pour des faits avérés, mais quelle portée ont ces faits ? Pour les uns, une bataille est une victoire glorieuse, pour les autres, une honte. On essaye d’être rigoureux et de faire réfléchir. Dans le deuxième cycle de « Sir Arthur Benton » par exemple, on parle de la « dénazification » qui a été arrêtée par les américains. Car ceux-ci ont pensé que certains ex-officiers nazis étaient utiles contre les soviétiques. Ainsi les services secrets allemands ont été créé par un officier nazi, Reinhard Gehlen, qui a monnayé sa collaboration contre l’URSS avec les américains, en échange de ses réseaux et de microfilms importants.
En quelque sort on fait du docu-fiction, avec une part de fait, et puis des personnages fictifs, avec une trame.
Avec Tarek il y a plusieurs projets en gestation, mais rien n’est encore arrêté. Nous avons envie de nous attarder sur l’antiquité, les celtes, ou le moyen age. On verra. Dans l’immédiat, le prochain projet pour moi est personnel, un récit de science-fiction .J’ai passé ces dernières années à créer un univers, on se baladera sur deux planètes, avec trois ou quatre civilisations qui auront leur histoire, leur vécu, leurs mœurs. La collaboration avec Tarek et l’historique fait certainement sens et expérience, car un de mes objectifs est de donner une réalité tangible à des mondes de fantasy. Avec « Planète Divine » c’était juste une première approche. Il y aura à la fois de l’aventure,des réflexions humaines, des thèmes spirituels, de l’amitié, et un dépaysement visuel, j’espère. Je ferai de la promotion pour ce projet bien avancé d’ici quelques mois.
 ponpetti  vincent
(photo JJP)
Je garde plus que jamais autant d'enthousiasme à travailler dans le monde de la bande dessinée. Il faut être constant, patient, mais les projets sont plus passionnants que jamais. Dessiner et peindre permet d’être joyeux et dans le moment présent, surtout lorsqu’on fait des projets de cœur. Cela ne veut pas dire être auto satisfait, d’ailleurs le mot « parfait » ne veut pas dire grand-chose. Je préfère complet, dans le sens où comme une plante, l’homme peut dégager un parfum, une idée, et toujours compléter cela, aller plus loin, s’épanouir, mais pour cela il faut faire des choix par soi-même, discerner, et concrétiser ses projets. Rien n’est donc jamais gagné d’avance, mais que cela n’empêche pas de faire du mieux que l’on peut là où on est. D’abord être heureux, puis faire les choses, autrement on court toujours derrière un évènement futur qui n’arrivera jamais. L’homme est doué pour être heureux, mais il ne le cherche pas toujours. Ensuite, les difficultés sont là, et on les accepte comme partie du jeu. On vit un moment de crise, et dans la BD elle est aigue, cependant je vois dans la crise le moment de faire des choses nouvelles et de partir sur d’autres bases, plutôt que de n’y voir que du danger.

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