Les Mémoires troubles, le premier opus de Rubine paraît aux éditions du Lombard en 1993. La série a été créée par Mythic avec Walthéry et Dragan de Lazare au dessin. Elle durera 13 albums, avec deux changements de dessinateurs : Bojan pour 2 albums, puis Bruno Di Sano. Dix ans plus tard, tel un phénix, la belle fliquette au caractère bouillant renaît de ses cendres aux éditions du Tiroir, basées à Braine l’Alleud. Deux aventures paraissent, croquées par Bruno Di Sano et Walthéry, plus un hors-série : Le dernier jour de la vie de Pamela Sue. Puis Mythic décide de lui donner un coup de jeune pour nous régaler des premiers exploits de la bouillante rouquine avant qu’elle soit fliquette.
Shesivan –. Pouvez-vous nous raconter la genèse de cet album Le prophète blanc?
Mythic – A la base, il s’agit d’un souhait purement éditorial. Comme j’avais déjà conçu avec un certain intérêt un album du genre, en 2007, pour la série Alpha (Tome 10 : Mensonges) -quoique créé pour des raisons différentes - je me suis dit : Pourquoi pas ? Il me fallut tout d’abord sélectionner une période de la vie de Rubine et celle qui se présenta comme une évidence fut celle qui précédait son intégration dans la fameuse Chicago PD. De fait, je ne me voyais pas la projeter dans un passé trop lointain alors qu’elle portait encore des nattes à la Laura Ingalls et usait ses jeans sur les bancs d’une elementary school de Louisiane en rêvant d’aventures musclées au gré des bayous infestés d’alligators sournois. C’est une image mentale de Rubine au crâne rasé qui signera son billet de retour dans les années 1990. Pour une BD, une idée c’est bien mais un dessinateur c’est pas mal non plus. Le premier nom qui sera associé au projet est Ghyslain Duguay, l’ultra perfectionniste créateur de la série MacGuffin et Alan Smithee (5 titres). En peu de temps, Ghyslain réalise, Outre-atlantique, une planche zéro surprenante et qui me séduit dès le départ. Rubine est à la fois Rubine et plus tout à fait Rubine, peut-être même un peu trop avec doute (certains argumenteront que créer une préquelle qui ressemble trop à la série-mère n’a que peu d’intérêt). Nico (créateur de la série hors le temps Adelin et Irina) présente à son tour un projet qui recueille les suffrages de Walthéry car plus proche de l’œuvre de l’homme de Cheratte-Hauteurs. Ghyslain est un peu déçu. Moi aussi, pour lui, mais je relativise en espérant qu’un jour nous nous trouverons peut-être sur un terrain de triple entente : éditeur, dessinateur et scénariste, pour un futur projet.
Shesivan – Vous semblez amer?
Mythic - Non, surtout que sur le plan économique, j’étais d’accord avec le choix de Walthéry, on perdrait moins de lecteurs avec le dessin de Nico - vous serez d’accord avec moi pour dire que nombre de lecteurs lambda ne verront même pas la différence – dont les inconditionnels combleraient même, en un premier temps, les rangs qui se seraient éventuellement un peu dégarnis. Les déçus par une trop importante discontinuité stylistique auraient sans doute été plus nombreux et comme Ghyslain demeure au Québec, il aurait été indéniablement moins présent lors des festivals ou séances de dédicaces pour booster le projet. N’oublions pas qu’il existe toujours un arrière fond de bizness dans tout travail aussi artistique soit-il. Nico, que je ne connaissais pas, s’avère être un garçon charmant et, cerise sur la gâteau, un pro extrêmement doué qui est demeuré, malgré sa fougue naturelle, étonnamment dans les clous de l’histoire. Il faut avouer aussi que pouvoir organiser une rencontre avec son dessinateur dans les 24 heures, en cas de problème éventuel (ce qui n’exclut pas qu’elle se fasse autour d’une bonne bouffe), est un avantage indéniable.
Shesivan – A quels problèmes avez-vous été confronté durant la réalisation de ce projet ?
Mythic – Hormis les problèmes inhérents à tout rodage de série, ils furent assez inattendus. Le premier vint de la part de Bruno Di Sano, le maître d’œuvre de la série-mère. Fragilisé par une inondation désastreuse qui lui fit fuir sa maison durant des mois (sans compter la perte complète de tout un pan de sa vie dans les eaux grises de la Meuse), Bruno imagina que l’on avait enclenché une opération hypocrite qui, à terme, servirait à le pousser vers la sortie. Bien entendu, il n’en est rien et il oeuvre pour l’instant sur le prochain tome qui retrouvera Rubine, dans sa bonne ville de Chicago, au mieux de sa forme. Le second problème consista à se replonger en 1990. Pour quelqu’un comme moi qui a connu ces années du début de l’explosion technologique dans nos foyers, l’aventure s’avéra bien plus difficile que prévu et l’expérience fort piégeuse... Ma mémoire sera plus d’une fois prise en défaut. Petit rappel pour les absents : en 1990, le home computer est rare et utilise des floppies et des disquettes. J’avais acquis, en 1988, un ordi de la marque IBM (un 640 k… non, je ne me trompe pas, des fous parlaient déjà de futurs gigas de mémoire et des fous, furieux s’il en est, de milliers de gigas) pour une somme de 3.000 Euros… Pour l’exemple, en 1990, le loyer de mon appart de 120 m², 3 chambres (4ème étage sans ascenseur) dans une belle avenue de Bruxelles... me coûtait 100 Euros. Les portables, inventés 17 ans plus tôt, n’étaient pas légions (mais très chers) et la couverture antennes fort trouée. Si on utilise l’ADN dans les affaires policières depuis le milieu des années 1980, on est loin de posséder des fichiers reprenant l’ADN des criminels. Résultat, je me retrouve avec une héroïne utilisant ces bons vieux téléphones fixes et roulant à bord de voitures qualifiées aujourd’hui d’ancêtres.
Shesivan – Quel est ou quels sont les éléments qui ont servi de base à l’histoire ?
Mythic - Il y en existe deux principaux. Le premier concerne la fillette tueuse. En 1976, j’ai vu un film fantastique intitulé « Los niños » (Les révoltés de l’an 2000) qui traite d’enfants tueurs vraiment flippants et lu, bien plus tard, un article sur le site du magazine « Marie-Claire" traitant du cas de l’adoption de Natalia, une naine sociopathe venue d’Ukraine, par un couple américain. Marie-Claire ? Vous avez dit Marie-Claire ? Oui, je confirme. Le second concerne le Ku-Klux-Klan. Dans le cadre de la réalisation d’une étude sur le cinéma américain, j’avais étudié le KKK, ses racines, sa création lors d’une belle veillée de Noël (C’est du véritable Dickens, en somme, avec ses trois fantômes portant des cagoules.) au lendemain de la Guerre de Sécession, sa décadence, sa quasi-disparition, sa renaissance fulgurante dans les années 1920 où les Klan’s men seront plus de trois millions sur le sol américain et, finalement, ce qu’il représente encore de nos jours, la pâle ombre de ce qu’il a été.
Shesivan – Qu’est-ce qui vous a séduit lors de l’écriture du scénario par rapport à un autre réalisé pour un album de la série-mère?
Mythic – « Avec le temps ! », chantait Ferré en 1971, le décor d’une série (dans Rubine : le commissariat, Chicago, les personnages secondaires) devient à certains moments pesant, limitatif. Ici d’un effet de clavier, on écrase, on efface tout. On repart à zéro et on se réinvente… et on s’étonne. On se fait aussi de petits plaisirs : Nico a eu la gentillesse de donner au second rôle féminin les traits de ma propre fille dont elle partage le prénom. Cela faisait aussi longtemps que je voulais écrire une histoire dans les états sauvages du Nord des USA, et voilà qui est chose faite.
Shesivan – Ce qui vous a chagriné ?
Mythic – De mettre en veilleuse le personnage de Shirley qui est quand même présente aux côtés de Rubine depuis plus de 700 pages. De ne plus pouvoir compter sur les béquilles scénaristiques que constituent l’ensemble des personnages secondaires bien pratiques lorsqu’il est besoin d’allonger un peu la sauce pour tomber pile au bas d’une page.
Shesivan – S’agit-il d’un one shot ou d’autres albums ont déjà été programmés ?
Mythic – Il s’agit bien d’une série parallèle dont l’intitulé exact est Rubine: The 90th. D’ailleurs, Nico planche sur l’album n°2 dont la sortie est prévue « impérativement" (Merci la pression !) lors du festival Quai des Bulles, à Saint-Malo, fin octobre 2024.
Shesivan – Pouvez-vous nous révéler le fil rouge de ce prochain opus ?
Mythic – Laissons planer encore un peu le mystère, voulez-vous ?
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