INTERVIEW DE BENOIT SOKAL A PROPOS DE KRAA 2 (Casterman)

kraa 2Shesivan : Avec Kraa, vous prenez Canardo à contre-pied ?

Sokal : On peut dire cela comme cela, ce qui m’intéresse c’est de ne pas tout le temps faire la même chose sinon je m’ennuie. Un jour j’ai envie de faire des choses drôles, puis des choses plus réalistes où j’ai envie de faire l’image de synthèse, du jeu vidéo, j’essaie que mes envies corresponde à mes réalités. De l’uniformité naît l’ennui…

Shesivan : Kraa est donc une bouffée d’oxygène ?

Sokal : Non, pas plus d’oxygène que Canardo, l’un repose de l’autre… quand on fait tout le temps la même chose, on s’asphyxie. Quand j’ai commencé le jeu vidéo il y a 15 ans j’en avais marre de travailler tout seul, de faire de la BD, je voulais voir du monde. J’avais très peu de rapports humains et c’était un manque au niveau professionnel. J’ai voulu voir du monde, j’en ai vu beaucoup, j’ai travaillé en équipe ce qui m’a appris beaucoup de choses. Maintenant j’ai envie de travailler seul, car en équipe ce n’est pas toujours facile de faire passer ses idées…

Shesivan : C’est un grande BD romanesque, une histoire de vengeance ?

Sokal : J’aime bien respecter les règles de la dramaturgie, je ne cherche pas à faire une histoire originale dans le thème mais je voudrais que la dramaturgie soit respectée et les choses amenées au bon moment. Je voulais faire une grande fresque romanesque. Il y a plusieurs idées, j’aime bien la nature, les grands espaces, je voyage beaucoup dans ce genre d’univers…

L’idée de base ? J’étais en train de régler un jeu vidéo où des personnages volaient et je voulais faire un simulateur de vol, un truc où on pouvait voler comme un oiseau. J’ai commencé avec un aigle qui volait dans les décors, mais je n’ai pas eu les financements et le temps a passé. Quand je me suis remis à la BD je me suis demandé si je ne pouvais utiliser cette histoire différemment…

Puis d’autres idées se sont greffées, j’ai été frappé par la nouvelle ruée vers l’or qu’il y a en ce moment dans le grand nord parce que la glace fond et on découvre de nouveaux gisements. Une vraie guerre larvaire entre le Canada, la Russie et le Danemark pour savoir qui est le propriétaire de ses nouvelles terres. Des nouvelles villes se sont crées, gigantesques, avec des puits de pétrole, c’est terrible… des régions dont personne ne voulaient sont devenues des banques à ciel ouvert… Le nouveau Klondike …

Shesivan : Vous êtes le nouveau Jack London ?

Sokal : C’est ça !

Moi je prends une idée, j’y puise ce qui m’intéresse et je transpose. Kraa se passe dans les années 20, c’est surtout l’idée de la nouvelle ruée vers l’or. Vous savez comment vont les idées, elles dorment parfois très longtemps avant de mûrir…

Shesivan : On peut sans se tromper affirmer que vous êtes un des pionniers de la BD numérique ?

Sokal : Oui je le revendique. En fait je viens d’une famille de scientifiques, il y avait toujours des ordinateurs chez moi alors forcément cela m’intéressait beaucoup. Quand sont apparues les premières images numériques je me suis essayé aux illustrations. Et puis dans les années 94-95 avec Casterman on a mis au point le système de colorisation des planches de BD puis de l’illustration. Parallèlement, d’autres gens ont fait la même chose. Rien n’était adapté, il y avait tout juste photoshop et des PC qui n’avaient pas la puissance d’aujourd’hui. N’empêche, cela allait tout de même plus vite que de faire de la couleur à la main ! Cela n’a pas été sans effets secondaires puisque la profession de photograveur et toute la chaîne qui va avec a disparu. Aujourd’hui, tous les dessinateurs font du numérique.

Shesivan : Kraa, c’est le retour à la couleur directe ?

Sokal : Voilà, j’avais envie de dessiner, ce n’est pas pour cela que je n’emplois pas l’ordi, je fais toutes les planches en couleur directe mais après je scanne et je regarde la chromie, je modifie les éclairages, des petites choses pour rendre l’affaire encore plus … sexy !

Shesivan : Parlez-moi des jeux vidéo ?

Sokal : C’était la suite logique puisque j’ai fait beaucoup de BD numérique. On a commencé chez Casterman à faire ce qui ressemblait à un jeu vidéo… A l’époque tous les éditeurs voulaient faire du CD Rom, se disant que le CD Rom allait remplacer le livre. J’ai fait un petit CD Rom et j’ai dit à Casterman que je voulais en faire plus, un truc multimédia… Tout le monde voulait se lancer là-dedans à cette époque parce qu’il y avait de l’argent et tout allait bien.

Après j’ai décidé de faire un jeu vidéo et cela a marché - je ne sais pas pourquoi – et puis il y en a eu un deuxième, puis un troisième et finalement j’ai fondé ma propre société. Plus tard, les jeux vidéo que j’avais envie de faire n’étaient plus à la mode, il y a eu la crise économique, j’ai arrêté naturellement d’en faire. Ce que j’aimais faire c’était de bosser comme auteur, pas travailler dans une boîte comme un pion. Les choses changent très vite, les supports, les goûts et cela coûte de plus en plus cher c’est difficile il faut être dans une grosse structure, fini de bricoler avec des petits moyens. A la fin je travaillais avec une centaine de personne, c’était encore à taille « humaine », mais c’est fini cela…

Shesivan : Et votre futur ?

Sokal : Kraa 3 qui termine l’histoire puis d’autres BD, des projets de cinéma d’animation avec François Schuiten avec qui j’écris le scénario. Nous sommes amis d’enfance. J’ai des tas de petits projets plus ou moins pensés mais le principal est pour le moment de faire de la BD parce que j’en ai envie.

ShesivanO

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