Alice Guy
Série: Alice Guy, Tome 0
Dessinateur : Catel Muller
Scénariste : José-Louis Bocquet
Editeur: Casterman
Alice Guy nait en France, ses parents étant rentrés précipitamment du Chili où sévit la variole. Le père d’Alice, Emile Guy a fait fortune au Chili en y développant deux libraires. D’abord élevée chez sa grand-mère puis par sa mère, Alice va vite rejoindre le parcours des quatre enfants de la famille pour être élevée dans un collège par des sœurs.
La guerre entre le Pérou et le Chili ruine la famille Guy et le retour en France dans des conditions difficiles n’en est que plus malheureux… Alice va se passionner pour le rôle d’actrice, mais elle recevra un refus catégorique de son père de se lancer dans la profession. Elle se retrouve employée aux écritures de la société des vernis Ducaron, elle doit se faire la place dans un lieu de travail essentiellement masculin, mais elle démontre qu’elle a de la répartie. C’est aussi à cet âge que son père met fin à ses jours, déprimé par sa faillite et le décès de son fils à l’âge de 17 ans.
Après cet essai, elle est engagée par la société de photographie Richard. Comme elle donne entière satisfaction, elle gagne la confiance du fondé de pouvoir, M. Gaumont, et gravit rapidement les échelons.
La photographie est un monde en pleine agitation. De plus en plus de personnes cherchent à transformer la photo figée en une séquence animée, avec plus ou moins de réussite. Gaumont, bien soutenue par Alice, va se lancer dans cette course à l’image, affrontant des concurrents aussi talentueux que les frères Lumières. Du kinétoscope au bioscope, du cinématographe exploité par Méliès au phototachygraphe et autres aléthoscopes, la technologie suit son petit bonhomme de chemin et la voie des rubans pelliculaires trouve son chemin. Alice va persuader Gaumont de réaliser quelques courts métrages ; celui-ci décide de lui faire confiance et le succès suit. Alice met en scène de véritables saynètes où le décor et la mise en scène prennent de plus en plus d’importance.
Alice va se marier avec Herbert et le couple va développer le projet de cinéma de Gaumont aux États-Unis puis va créer ses propres studios : les studios Solax. Alice va y développer toute sa créativité, d’autant plus qu’on est passé d’une bobine à cinq ; ce qui permet de construire des histoires plus complexes… Elle n’hésite pas à braver des interdits culturels comme celui de faire tourner des acteurs d’origine noire. La société Solax connait des déboires financiers, elle est en partie rachetée et Alice y perd en liberté de création. Elle retourne en France pour y ouvrir un magasin d’antiquité, mais c’est un nouveau fiasco. Il est temps pour Alice Guy de se reposer, bien entourée par ses deux enfants…Rien ne prédestinait Alice Guy à une destinée peu commune et pourtant encore si méconnue et c’est donc une fameuse histoire aux multiples rebondissements que nous narrent Muller Catel et Jean-Louis Bocquet. Il est vrai que les deux compères n’en sont pas à leur premier essai, ayant déjà mis en bulles Kiki de Montparnasse, Joséphine Baker et Olympe de Gouges. Le point commun de ces romans graphiques étant de mettre en valeur la destinée de femmes d’exception qui ont réussi à s’affirmer dans un monde souvent très machiste.
La vie d’Alice Guy, c’est aussi celle de la naissance du cinéma, processus pour lequel peu de personnes auraient parié sur un succès, mais c’est aussi une époque où les gens se battaient pour des projets un peu fous. Qu’une femme venue d’un milieu désargenté ait pu s’investir dans ce projet de l’époque et imposer ses vues est en soi tout à fait remarquable et méritait d’être souligné par les auteurs.
Extrêmement bien documenté, ce roman graphique permet de découvrir dans un contexte ludique la monde du cinéma dans la charnière des années 1900 où des pionniers comme les Frères Lumières ou Méliès se côtoient et créent du rêve selon différents processus tous plus ingénieux les uns que les autres avec des risques financiers non négligeables à la clé…
C’est donc une histoire passionnante pour une destinée qui aurait pu être à priori banale au départ que nous font découvrir les auteurs avec tout ce talent qui est le leur, mais aussi l’histoire avec un grand H. Une lecture donc hautement recommandable pour toutes ces facettes!
A noter, une biographie bien complète de tous les grands hommes (et femmes de l’époque) et la filmographie/bibliographie d’Alice Guy complètent bien utilement cet ouvrage déjà très riche en soi…