Tranche de vie douce-amère

Tranche de vie douce-amère
extrait du site lalibre.be du 18 mai 07

Fane et Jim dressent le portrait de trentenaires un peu cabossés par la vie.  

La trentaine, chantait Maxime Le Forestier, "C'est le temps de plus d'excuse/Au vieil écolier qui s'amuse. "

S'amuser et prendre du bon temps, c'est pourtant l'objectif des six personnages qui ont rejoint un gîte dans le Roussillon pour assister à l'éclipse solaire. Cinq d'entre eux sont amis de longue date : Dominique et Isabelle forment un couple en convalescence affective, dont le baromètre peut passer de "beau temps" à "orage" en un clin d'oeil. A fortiori, quand la présence d'Héléna, la croqueuse d'hommes, charge l'air d'électricité. Hubert, l'homo extraverti, endosse pour sa part celui du bon copain. Et puis, il y a Jean-Pierre, l'ami ressource. Celui sur lequel on peut s'appuyer quand la vie tangue. Sauf que Jean-Pierre a décidé de s'offrir une petite escapade sur les sentiers de l'adultère, en emportant dans ses bagages une jolie plante de 19 ans, Jan, rencontrée sur le Net.

Fane - le "repreneur" du Joe Bar Team - et Jim ont mis beaucoup d'eux-mêmes dans cette épaisse tranche de vie douce-amère de 300 pages, dont ils ont écrit le scénario et réalisé les crayonnés à quatre mains. Ils ont emprunté à leur vécu des éléments pour brosser les portraits de ces trentenaires qui ont atteint l'âge où l'on dresse les premiers bilans, où le renoncement et les compromis l'emportent sur les espoirs et les certitudes de l'adolescence, où la nostalgie s'invite plus souvent qu'à son tour, entre deux rigolades potaches. Où l'on se rend compte que la course contre le temps qui passe est perdue d'avance. A travers les liens, tendres ou tendus, qu'ils tissent entre les six personnages, les auteurs s'interrogent également sur la pérennité [?] du sentiment amoureux, ainsi que sur cette étrange alchimie qui amène des personnes à s'appeler "ami".

Par la faute d'effets parfois trop appuyés, l'ensemble n'est pas toujours aussi touchant et profond qu'il voudrait l'être. Plus terre à terre et moins subtile, à partir d'un même thème, que le "Monsieur Jean" du binôme Dupuy-Berbérian, "Petites éclipses" est néanmoins une bande dessinée intense et sincère, dont le point d'orgue est une séance de thérapie collective menée par la rebouteuse du village voisin. Les dialogues sont aiguisés comme des couteaux de boucher, le dessin vif et expressif - on est prêt à parier que Fane et Jim admirent beaucoup Dany - et l'humour mordant. "J'ai eu 30 ans/Je suis content/Bonsoir."

LES DENTS DU FOND DE LA MER

Egalement mordant, mais dans un autre genre, le premier tome de "Carthago", la nouvelle série scénarisée par Christophe Bec. "Sanctuaire", "Bunker" et "Le temps des loups" l'ont déjà démontré, Bec n'aime rien tant que faire naître l'angoisse chez son lecteur et il parvient avec le concours de l'efficace dessinateur Eric Henninot.

La terreur vient des abysses, sous la forme d'un mégalodon, féroce squale antédiluvien de 25 mètres. Plus étonnant encore que ses dimensions hors norme est le fait que l'animal est porté disparu depuis cinq millions d'années. Or, plusieurs spécimens ont survécu dans une grotte sous-marine. Une multinationale pétrolière qui veut empêcher que soit rendue publique une découverte qui contrarie ses intérêts, un commando écolo qui ne l'entend pas de cette oreille, un milliardaire collectionneur et une enfant aux étranges pouvoirs : on est forcé de convenir qu'un air de déjà vu circule dans les pages du "Lagon de Fortuna". Mais n'est-ce pas dans les vieilles casseroles que l'on fait les meilleures soupes (de poisson) ?

NOIR, C'EST NOIR

Plus mordant encore, la sixième livraison du collectif Bonobo, derrière lequel se cachent, entre autres, Jul, Charb et Luz, piliers de "Charlie Hebdo". A mi-chemin entre la bédé et le dessin de presse, "Bébés congelés, chiens écrasés" est une compilation de planches où ces héritiers de Reiser proposent leur relecture de faits divers, parfois sordides, comme le titre de l'album le laisse deviner. C'est très, très noir et très, très acide, mais aussi très drôle. Pour autant que, comme votre serviteur, l'on goûte à ce genre d'humour, que d'aucuns qualifieront de féroce et d'autres de douteux. Ames sensibles s'abstenir. On vous aura prévenus.

Olivier le Bussy

©lalibre.be

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