LE MURET : CELINE FRAIPONT ET PIERRE BAILLY

Le Muret - Céline Fraipont & Pierre Bailly - Casterman Collection Ecritures

À treize ans, Rosie vit une situation peu commune : ses deux parents durablement éloignés à l’étranger et ne s’occupant d’elle qu’épisodiquement, elle doit se débrouiller au quotidien presque entièrement seule. Son seul point d’ancrage est son amie d’enfance Nath, avec qui elle entretient une relation presque fusionnelle. Mais les amitiés sont aléatoires et fluctuantes à cet âge. Progressivement mise à distance par Nath, Rosie, de plus en plus isolée, se réfugie dans l’alcool et l’absentéisme scolaire. C’est dans ces circonstances, à la dérive, que l’adolescente fait la connaissance de Jo, un garçon à peine plus âgé qu’elle, qui comme elle habite seul, vivant d’expédients et de petits trafics. Jo, sensible à son côté rebelle, initie Rosie à la musique, à la débrouille et à l’esprit d’indépendance. Éclopés d’une existence qui commence à peine, les deux jeunes gens vont peu à peu laisser s’épanouir l’attirance qu’ils ressentent l’un pour l’autre. Une belle histoire d'amour qui se terminera sous une pluie glaciale et bouleversante... (texte-Casterman)

La maîtrise de ce récit bouleversant est impressionnante venant de deux jeunes auteurs nouveaux venus. Le Muret est une œuvre rendue forte par la narration fusionnelle créé par le couple, le portrait d’une ado traité sur le fil du rasoir avec une justesse et une sobriété qui fait que ce livre mérite entièrement sa place parmi les maîtres de cette collection Ecritures, le chaînon manquant entre BD et roman créé par Casterman.
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Ensemble nous avons créé une série pour les enfants : Petit poilu, une série muette – déjà  15 tomes ! - avec le même héros. C’est un vrai travail en profondeur, avec un thème et un univers. C’est de la BD dans le sens où on utilise le gaufrier classique, tout est limpide, tout doit être compréhensible dans le dessin, il faut que toutes les infos passent. L’intention doit être dans la gestuelle.
(Pierre) C’est un concept qui m’a permis à recomprendre les bases de la narration sans texte, de la BD, j’ai appris à enlever des choses de mes images pour aller à l’essentiel. Il y a une fluidité dans ces livres, comme un story-board.
Nous avons une collaboration très proche, habitant ensemble, on peut travailler sur des séquences qui ne sont pas dans les livres et on peut saquer dedans pour mettre un rythme. Il s’agit d’un travail de montage, comme dans le cinéma, un travail fusionnel: quand le scénario est mis en place, on accepte que l’un intervienne très loin dans le travail de l’autre.
Nous avons d’abord proposé le Muret chez Dupuis, sous certaines conditions mais celles-ci ont changées vers la fin de notre travail et elles ne nous convenaient pas : changements de la date de parution, de collection. Nous avions la sensation que cela nous échappait.
Alors nous nous sommes retrouvés avec 180 pages et plus d’éditeur. Quand nous l’avons proposé à Casterman, nous avions fait une couverture dans le style de la collection Ecritures. L’éditeur a aimé l’histoire et a été phase avec le fait que cela pouvait figurer dans cette collection. En deux jours le deal a été fait. C’était ambitieux car la collection Ecritures est le chaînon manquant entre la BD et le livre, une collection qui publie essentiellement des traductions… Nous proposions un projet inédit, un projet belge, à côté de ces géants de la BD …
Le Muret, ce n’est pas autobiographique mais c’est du ressenti. Je voulais raconter avec du texte et du dialogue mais aussi avec beaucoup de passages muets parce qu’on n’arrive pas à faire autrement, cela fait du bien, remettre cette place de l’image, des images très fortes qui contribuent à la réussite émotionnelle du livre. Il y beaucoup de silences, comme il s’agit d’un personnage solitaire, qui du coup elles restent dans la tête des lecteurs, c’est l’essence de la BD. C’est une histoire dure, difficile, triste… Mais on est dans la poésie, créant des zones confuses pour laisser l’obscurité à l’image. Malgré le fait qu’il s’agisse d’une histoire tragique, à la frontière du sordide, nous avons pris plaisir à faire ce livre, aussi bien du côté de l’écriture que du dessin !
C’est une histoire dérangeante qui traite de l’alcoolisme des jeunes. On y pense toujours de façon festive, mais c’est une réalité ! Rosie boit seule, ce qui caractérise le vrai alcoolo et ressent le besoin de décrocher avec elle-même, de chercher du réconfort et de s’enliser dans cette sensation de douceur agréable que procure l’alcool. D’ailleurs Rosie en parle de façon positive.
L’histoire se termine par une forme d’espoir, il y a cette mort qui la secoue, cet électrochoc qui la sort de cette torpeur… On reste sur une fin ouverte, parce qu’on a choisi de raconter uniquement cette chute, cette dérive, faisant en sorte que le lecteur puisse comprendre cette fille. C’est un sujet qui parle à tout le monde, parce que cela peut arriver à tout le monde ! Mais comme s’agit ici d’une jeune fille, cela touche les adultes qui lisent nos pages, ces adultes qui ont des ados et qui soudain ne les voient plus comme des gosses et ne les comprennent plus. Il y a beaucoup d’adultes qui ont oublié les autres étapes de leur vie, de garder tous ses liens. Ils se ferment à leur enfance et deviennent des vieux cons. Il faut garder un regard frais par rapport au monde…
 

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