- shesivan
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BARU "CANICULE" ou LE POUVOIR DES IMAGES
Un immense champ de blé et un homme qui court. Il est aux abois, il vient de commettre un hold up, a doublé ses partenaires. Il enfouit rapidement la valise contenant l’argent dans un trou creusé dans la boue... Il a repéré une ferme et espère s’y planquer le temps que les choses se tassent… Il ignore qu’il se dirige droit dans un piège…
Lee Marvin, sa tronche burinée et son costard sombre, est la seule image dont n’a pas pu se débarasser le dessinateur Baru, ami de l’auteur du polar ; Jean Vautrin. Car il n’a jamais vu le film Canicule et n’a pas envie de le voir… Son amitié avec Jean Vautrin – vieux pote à Audiard, c’est vous dire les lettres de noblesse - est née au festival d’Angoulême, en 1990, lorsque celui-ci lui a remis l’Alph’Art pour Le Chemin de l’Amérique. La sauce a pris entre les deux gaillards et Vautrin lui a promis une nouvelle pour qu’il puisse en faire une BD, mais cela n’a jamais eu lieu. A la place, Vautrin a offert à Baru de piocher dans sa bibliographie. C’est comme cela que Canicule est né… Il en voulait un autre, de roman, mais déjà pris par Tardy… Selon l’auteur, nous aurons bientôt droit à une série : Vautrin par… L’homme recherche des candidats.
Quand on parcourt l’album on ne peut que s’arrêter sur la spontanéité des images et qui suffisent à elles seules. Baru aurait très bien pu se passer de bulles, tellement il est expressif. Faussement spontané car tout a été pesé et équilibré chez lui, en excellent homme de métier ! Je lui avais présenté mon album, imprimé à partir d’un pdf et la première page du récit se trouvait sur une page impaire. Baru m’a immédiatement expliqué pourquoi cela ne se pouvait, m’a montré le déséquilibre des couleurs et des images… Couleur directe et quelle couleur ! La canicule s’affiche à travers les images, la luminescence blesse les yeux, le jaune est agressif, se fait rayon de soleil, brouille la vue comme ces premières pages où les personnages ne sont pas surlignés…
Et ce climat …
C’est un monde clos, de taiseux, cela sent la relation incestieuse, c’est renforcé par la cupidité et, parce qu’ils sont cupides, l’arrivée de Cobb va révéler ces gens à eux-mêmes. Cobb est le prétexte à l’expression totale de ce qu’il y a de plus fondamental dans l’humanité : sa méchanceté, sa lubricité… Ce qui m’intéresse chez Vautrin c’est que lui va dans des endroits où je ne vais pas, il a une manière d’aborder ces choses-là de façon à ce qu’au bout du compte on se pose des questions sur quoi on est capable. Je sais finalement que je suis capable du pire mais il faut cantonner ses pulsions dans un espace qui relève de l’impossibilité.
Particulièrement pour ce bouquin-là, la couleur est importante. L’histoire se passe en Beauce, pas loin de paris… C’est un pays très riche à cause des céréales, des champs de blé à perte de vue, c’est très plat. Quelques grosses fermes ici et là… Tu as envie de t’y pendre !
Il n’y a aucun intérêt à illustrer la littérature, c’est redondant puisque le verbe en soi est suffisant pour s’exprimer, alors pourquoi l’accompagner d’un dessin ? Je suis de moins en moins bavard dans mes histoires, la BD est une affaire d’images qui doivent parler par elles-mêmes, qu’elles fassent le travail de la narration…