Interview BD:
Jacques Lamontagne
dessinateur
Thierry Gloris
scénariste
Série: Aspic # 1
Editeur: Soleil / Quadrants
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Franchissant les océans tout en faisant un crochet par la France, Shesivan - inspecteur à la retraite – a mené son enquête et recueillit les aveux des principaux suspects de l’affaire « Aspic », les sieurs Jacques Lamontagne et son scénariste de complice Thierry Gloris…
Shesivan : D’où vient l’idée de base de prendre Auguste Dupin et de le décaler dans une autre époque ? Ca se passe en quelle année, finalement ?
Jacques Lamontagne : Dans Double meurtre sur la rue Morgue, Poe situe l’action en disant qu’elle se déroule en 1800 et quelque… et précise que Dupin est un jeune gentleman, on peut donc extrapoler et supposer que notre Dupin vieillissant puisse exister à l’époque où on le situe.
Thierry Gloris : Ce qui m’a intéressé avec le personnage de Dupin, c’est que c’est un héros français créé sous la plume d’un américain. C’est suffisamment rare pour être relevé. De plus, Poe est un de mes auteurs préférés. Utiliser le personnage de Dupin est un hommage à l’auteur qui m’a tant fait rêver. La ligne temporelle dans « ASPIC » est volontairement brisée. Nous sommes dans une époque allant globalement de 1880 à 1901. Nous n’avons pas volontairement fixé de repères chronologiques précis.
SH* : Es-tu toi-même un amateur de ce genre de récits à la Holmes, Lupin, Harry Dickson et j’en passe… ? Ou est-ce uniquement ton scénariste ?
JL : Adolescent, je me suis nourri de tous ces auteurs populaires, dévorant les Doyle- Poe- Leblanc et compagnie. C’est pourquoi, quand Thierry m’a parlé de ce projet, qui à l’époque devait se nommer Les carnets de l’insolite, j’ai immédiatement été emballé. De plus, ça faisait déjà un bon moment que je désirais illustrer une histoire se déroulant à la fin du 19e.
SH : Tu as dû pas mal te documenter pour le Paris Belle-Epoque? Et la tour Eiffel, où est-elle ?
JL : J’ai accumulé bon nombre de bouquins traitant de cette période. Les livres présentant les photographies que Charles Marville et Eugène Atget avaient prises, avant les grands travaux d’Haussman, m’ont été d’une grande aide. La tour Eiffel ? Nous n’avons tout simplement pas eu à la présenter dans notre tome 1, préférant amener nos personnages dans les quartiers plus sombres de la ville.
TG : Je réserve la tour Eiffel pour le second diptyque.
SH : Dans ma chronique j’assimile Auguste Dupin à Georges C. Scott, tu répliques qu’il tient plutôt de Noiret et de ? Je rajoute Jean Reno, mais sans grande conviction ?
JL : En fait, j’ai bâti le personnage à partir de Jean-Pierre Marielle, Philippe Noiret et mon papa. Je désirais volontairement une figure paternelle, avec un brin de suffisance. Thierry m’avait à l’époque aiguillé sur Marielle. Par la suite, le personnage s’est transformé avec le résultat que l’on connaît.
SH : A un moment j’ai cru voir Toulouse-Lautrec dans la peau de Hugo Beyle (de petite taille, l’affiche de la Goulue sur la couverture, son attrait pour les lupanars) J’ai rêvé ?
JL : L’analogie est rigolote, je n’y avais pas pensé. En fait, les travers et passions de notre ami Beyle viennent de l’imagination de Thierry. Le personnage s’est sûrement transformé au fil de la production de l’album, mon interprétation visuelle de Beyle, ainsi que ses mimiques ont sans doute pisté Thierry vers certaines avenues. C’est intéressant de travailler sur un projet pour lequel un échange réel existe entre scénariste et dessinateur. Je suis convaincu qu’on amène le projet beaucoup plus loin. Ceci dit, Beyle vous réserve de belles surprises.
SH : Y a-t-il encore des clins d’œil, des allusions que je n’ai pas relevées ? Je n’ai pas osé évoquer Lautréamont pour (les chants de) Maldoror et la fiche du service-presse parle de Maupassant ?
JL: Les clins d’œil sont si nombreux que je n’ose pas les dénombrer. On a même droit à Tintin ! Aux lecteurs maintenant de les découvrir !!
TG : Maldoror était pour moi la plus grande émanation du mal car, Isidore Ducasse, son inventeur était parti le « chercher » à la limite de la folie, c’est-à-dire aux confins de son Humanité. Maupassant également est important car il a été un des premiers auteurs français à introduire le fantastique dans ses écrits. Nous désirons nous placer dans la même continuité.
SH : Ce sont des couleurs directes ou un miracle informatique ? J’ai vu tes dessins rehaussés d’aquarelles, magnifique !
JL : En grande partie mes couleurs sont réalisées sous Photoshop, un peu également dans Painter. Il y a aussi de l’intégration d’aquarelle traditionnelle pour casser l’effet trop « numérique ».
SH : Tes dessins fourmillent de petits détails. Est-ce que ce n’est pas trop long à faire ?
JL : Certaines planches m’ont pris plus de temps que d’autres. Je pense en particulier à la scène du marché et à celle des travaux d’excavation du métro. Comme on dit aux USA, ce sont des « money shot », ça vaut donc le coup de bien nourrir l’œil du lecteur. De toute manière, j’aurais de la difficulté à mettre la pédale douce sur les détails. Ça fait partie de ma façon de travailler.
SH : Sur la page de garde, il y un dodo et ? C’est quoi les deux autres… euh… choses ?
JL : Ce sont des objets tirés du cabinet des curiosités de Dupin. On a droit à une sirène authentique ( si ! si ! ) ainsi qu’à un étrange crâne ( extraterrestre- civilisation disparue ?) . En fait, ce genre de curiosités existait au 19e et faisaient courir les foules.
SH : Le vilain de cette histoire sera-t-il également un personnage historique ?
JL : C’est une bonne question. ^^
TG : Une excellente question ! **
SH : Comment fais-tu pour communiquer avec ton scénariste qui se trouve de l’autre côté de l’Atlantique. Je me doute qu’il y a le net et les courriels mais est-ce que vous n’avez pas besoin d’un contact plus perso ?
JL : Il est vrai que ce serait agréable de se voir plus souvent qu’une fois l’an. Sinon, on fonctionne par mail, par Skype et bien entendu par téléphone.
TG : Nous avons une bonne entente avec Jacques, ce qui facilite grandement les échanges !
SH : Apparemment, tu es très attiré par la France, cela vient-il de tes origines ?
JL : Tout jeune, je me gavais de BD provenant de la France et de la Belgique. J’ai grandi avec cette imagerie européenne. Je me rappelle qu’à mon premier voyage en France, j’étais tout impressionné de voir mon premier platane, cet arbre que j’avais si souvent vu illustré dans les BD de Franquin. Je crois que cette fascination pour les vieux pays est l’héritage de mes lectures, autant BD que romans.
SH : Des projets ?
JL : Les projets ne manquent pas ! En premier lieu, je travaille sur le tome 2 d’ASPIC, qui complètera ce premier diptyque. En juillet prochain, je devrais reprendre le travail sur la série Les Druides afin de compléter avec ce tome 6, le cycle de la série. Ensuite, il y a avec mon chapeau de scénariste, le tome 3 de Yuna ainsi que le tome 1 d’une nouvelle série avec Kan-J au dessin. Ça fait pas mal le tour des actualités !
TG : Plein ! « ASPIC » aux éd. Quadrants avec Jacques et « Ainsi va la vie » aux éd. Drugstore avec Frédéric Charve pour ce début de printemps. En juillet arrivera sur les tablettes de nos amis libraires un petit album noir et blanc de 200 pages au format comics qui se nommera : Tokyo Home.
SH : Vous avez fait un geste généreux pour Haïti en mettant une de vos planches à l’encan. Quel a été le résultat ?
JL : Nous étions au total une dizaine d’auteurs à participer à cette encan dont les profits étaient entièrement remis à la Croix rouge Canadienne, qui elle , s’occupait de les faire suivre aux sinistrés d’Haïti. Nous avons amassé près de 6 000 $ CA, soit environ 4 000 euros. Cette somme était doublée par le gouvernement canadien qui s’était engagé à le faire afin d’encourager les gens à donner. On était très content des résultats.
* SH pour Shesivan, pas Sherlock Holmes (ou Shesivock ?)
** Encore une allusion à Tintin, plutôt aux Dupondt
Shesivan
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