Lune et l’autre, Gabriel Germain – Casterman coll. Univers d’Auteurs (2014)
Dans un Tôkyô rêvé, une prostituée hébétée, Risa Tsukiyo, émerge d’un cauchemar éveillé : elle vient de tuer son souteneur. Dans sa fuite, elle heurte un passant et perd son portefeuille, mais réussit à rejoindre la gare routière où elle saute dans le premier bus en partance pour le village de son enfance. À bord, Risa découvre une étrange petite fille, Hana, qui semble elle aussi voyager seule et fuir la grande ville sans véritable but. L’une et l’autre vont sympathiser, au point de ne plus se quitter et de poursuivre ensemble leur périple hasardeux. Pendant ce temps, le passant qu’a heurté Risa dans sa fuite, Shin’ichiro, est plongé dans une introspection inquiète et douloureuse. Incapable d’assumer sa paternité prochaine, débordé dans son travail, ce jeune salaryman se sent perdre pied et voit dans l’inconnue dont il vient de trouver le portefeuille une possible bouée de sauvetage. Mais lorsqu’il se rend chez elle, il découvre à côté de la jeune femme alitée le cadavre d’un homme… Quelle est la véritable Risa ?
Menée avec délicatesse et empathie, l’évocation de ces trois solitudes intimement mêlées se sublimera dans le passage d’une vie à une autre, au cœur d’un Japon qui, au-delà des apparences de la modernité, n’a rien perdu de son ancestrale magie.
J’ai fait mes études en arts appliqués, en graphisme… mais je ne voulais pas faire de graphisme !
Je voulais faire de la BD. Pendant mes cours, j’ai adapté le premier chapitre de la nouvelle de Jean-Hugues Oppel « Brouillard sur le pont de Bihac ». Mes profs ont considéré que c’était publiable et j’ai contacté l’auteur qui m’a encouragé à continuer. Ensuite j’ai envoyé le projet à Casterman qui a accepté la publication dans sa nouvelle collection Rivages/Casterman/Noir. Tout cela s’est passé très naturellement. J’étais très seul sur ma première, j’ai fait ce que je voulais. Le noir et blanc, le graphisme très tranché, c’est l’influence Mignola, je le lisais beaucoup. Pendant la première année après la parution, j’ai fait toute une tournée de promo, avec Chauzy (La Guitare de Bo Diddley) et Loustal (Coronado) dont les BD étaient sorties en même temps et ensuite je me suis dit qu’il fallait s’y remettre !
Pour celle-ci (Lune et l’autre) il y a eu beaucoup de travail avec mon éditrice, alors que pour « Brouillard » j’étais seul aux commandes. Ici je n’ai pas adapté, j’ai tout écrit, ce qui m’a pris deux ans et demi. Olivier Bocquet – crédité comme scénariste - est arrivé au 5ème story-board à la demande de mon éditrice parce qu’il y avait des choses que je n’arrivais pas à régler et nous avons retravaillé le dernier story-board. Au départ mon ambition était de faire une adaptation d’un roman de Murakami, mais je n’ai pas obtenu les droits. J’ai lu beaucoup d’autres livres japonais en essayant de retrouver ce réalisme fantastique et j’ai commencé à écrire sous cette influence. Le fantastique japonais est différent du fantastique européen/américain, leur culture est très différente. Dans Lune et l’autre, le réalisme fantastique va aider à ce que les situations se démêlent… Au départ, on est dans des problèmes très concrets, comme un meurtre, un abandon d’enfant… et un élément fantastique va f… le bordel mais il va remettre les personnages sur un chemin !
Lune et l’autre a été un titre très compliqué à trouver, car il fallait quelque chose qui puisse résumer les trois parcours des personnages. Un des éléments qui les réuni à chaque fois est la lune. Et dès le titre trouvé, un jeu de mot, cela a fait tilt. Sur la couverture, le jeu de mot disparaît pour tomber dans le côté poétique de la chose. Ce sont à chaque fois des duos de personnages, qui forment un gros tout, une lune, un cercle…
Pour le graphisme de la planche, le trait est fait au crayon et ensuite je l’encre… au crayon au lieu de l’encre traditionnelle, puis la planche est scannée et la couleur est faite à l’ordinateur. J’utilise une palette de matières d’aquarelles scannées auparavant que je colle sur les dessins, ma petite cuisine informatique ! C’est propre comme du numérique mais il y a un grain qui rappelle la couleur directe. Au final, le trait d’encrage est pratiquement effacé, léger mais comme cela il n’écrase pas l’image. Je voulais le format dans lequel est paru l’album, alors mais planches sont adaptées et font entre 3 et 5 cases, question de lisibilité
Tout cela m’a pris quatre ans, deux ans et demi pour conclure l’histoire et un an et demie pour le dessin. J’ai un petit boulot à côté, surveillant au lycée. Au début il me gênait car il m’empêchait de travailler sur le livre mais ensuite, quand il a fallu finir dans les temps, c’est devenu ma bulle d’air. Les derniers mois ont en effet été faits au pas de charge, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 72. Mon style dépend de l’histoire, je n’ai pas un style prédéfini, suivant l’histoire d’adapte mon trait…
J’espère rester fidèle à Casterman, j’ai deux projets avancés, des projets qui semblent les intéresser. Un projet de science-fiction, une biographie de l’imaginaire et une histoire qui se passera au Bengladesh et qui sera plus croqué graphiquement….