Far Sector
Scénariste : Nora K. JEMISIN
Dessinateur : Jamal Campbell
Editeur: Urban Comics
La Green Lantern Jo Mullein vient d'être affectée à l'un des secteurs les plus reculés de la galaxie. En charge d'élucider un meurtre au sein de cette société qui n'a plus connu de crime depuis plusieurs siècles, elle devra non seulement affronter l'animosité ambiante mais également faire la lumière sur un second assassinat : celui du principal suspect.
Une pépite.
Ce Green Lantern sort du lot et pas seulement de son univers, mais aussi du comics en général. Et il y a plusieurs raisons à cela :
Premièrement cette histoire a été conçue d’après une idée originale de Gerard Way.
Super, Gerard qui ? Si comme moi son nom vous était inconnu, sachez que c’est d’abord le chanteur du groupe My Chemical Romance, formation qui a connu quelques succès dans les charts entre 2001 et 2013, année de leur séparation. Depuis ses 16 ans, il écrit aussi des scénarios de comics. Sa bibliographie comporte des titres tels que « Young Animals » signé chez DC et encore une série nommée The Umbrella Academy, adaptée par Netflix avec le triomphe énorme qu’on lui connait. Rien que ça…
Il cherchait un écrivain talentueux pour broder autour de son idée et pas spécialement rattaché au monde de la BD. On lui conseilla de lire les livres de Nora K. Jemisin et il fut directement séduit par son écriture. C’est ma deuxième raison. Une femme, Afro-Américaine (peut-être qu’un jour cela ne devra plus être mis en avant parce que ça ne sera plus une exception) avec un talent inné pour l’intrigue. Elle apporte ici une certaine fraicheur, de la nouveauté et c’est très intéressant. Résultat ? Le Prix Hugo de la meilleure histoire graphique 20221 c’est amplement mérité !
Et troisièmement, j’ai nommé Jamal Campbell. J’ai eu le plaisir de croiser son trait si particulier sur Naomi et il m’avait déjà tapé dans l’œil. Jamal semble faire des nouveaux personnages sa spécialité et au-delà du fait que ce soit extraordinaire, c’est une belle opération pour ce projet. Son style est unique, les ambiances qu’ils proposent sont travaillées et particulières. Il amène une part de féminité dans ses ambiances et ne dénature par l’essence même de l’œuvre. C’est plutôt remarquable. Il apporte ici un niveau de recherche dans les décors et les personnages à la hauteur de l’ambition originale. Il y a tout à créer et le résultat est plus que convaincant !
312 pages pour vous conduire dans une des zones les plus reculées qu’il soit. Tellement lointaine que les messages mettent des mois à transiter de la terre jusqu’à la Cité Eternelle. Tellement reculée que Jo n’a même pas de contact avec les Green Lanterns, elle ne peut compter que sur elle-même. Son anneau a d’ailleurs la particularité unique de se recharger seul.
La Cité est composée des Nah, des @At (à prononcer At-at) et des Keh-Topli. Trois tribus différents qui auparavant vivaient en harmonie sur deux planètes du même système solaire. Mais un envahisseur vint mettre la zizanie et celle-ci finit en apocalypse. Afin de reconstruire sur des bases plus saines, les survivants de cet holocauste décidèrent de supprimer toutes émotions, convaincus que le problème se trouvait là. C’est dans une ville tentaculaire, immensément peuplée et aux antipodes de son vécu, que Jo va devoir jouer son rôle de shérif interplanétaire. Difficile lorsque l’on ne peut compter que sur soi et que l’on est la seule personne pourvue d’émotions, enfin, en apparence… Mullein nous parle en permanence durant le récit, apportant des informations complémentaires qui tisse toujours plus serrée la toile de l’intrigue. Ce sont presque des analyses en temps réel puisqu’elle découvre encore ces civilisations.
Il y a beaucoup de degrés de lecture dans ce comics, traitant de sujets importants comme la différence, l’acceptation, le pardon, l’autocritique, la politique, les sentiments… On sent l’autrice très engagée dans ces sujets et j’ai du mal à ne pas penser qu’une partie est autobiographique même. C’est un livre qui demande un investissement personnel, qui ne se lit pas à la légère, mais qui ravira les lecteurs en quête de nouveautés, les adeptes des enquêtes noires et ceux qui veulent élargir leur horizon.
1 Le prix Hugo de la meilleure histoire graphique (Hugo Award for Best Graphic Story) est un prix américain décerné chaque année depuis 2009 par les membres de la World Science Fiction Society. Il récompense les bandes dessinées de science-fiction et de fantasy publiées pendant l'année calendaire précédente .