La frontière de la nuit
Dessinateur : Philippe Francq
Scénariste : Eric Giacometti
Coloriste : Bertrand Denoulet - Philippe Francq
Editeur: Dupuis
Le résumé de la 1ère partie de ce nouveau diptyque… par l’éditeur
Après un premier diptyque plébiscité́ par le public, Éric Giacometti et Philippe Francq reviennent avec un Largo plus que jamais en phase avec son époque, où cohabitent économie verte, technologie de pointe et fils spirituels d'Elon Musk !
En visite incognito dans une mine d’étain en Indonésie, Largo Winch découvre avec stupeur que l’une de ses propres filiales emploie des enfants pour fournir des composants essentiels à nos smartphones. Cette découverte encourage le milliardaire à faire évoluer le groupe W vers une économie plus responsable. Il en profite également pour développer les technologies de pointe, en particulier les marchés spatiaux, qu’il s’agisse de satellites ou du nettoyage de déchets en orbite. Largo Winch va ainsi croiser la route de Jarod et Demetria Manskind, jeunes et géniaux entrepreneurs aux mœurs et aux idées détonantes, qui ne manquent pas une occasion de le railler dans les médias. Cette rencontre sera le prélude à de gros ennuis, dont un vol spatial qui pourrait bien très mal tourner... Car dans l’ombre œuvrent de mystérieux tueurs aux motivations incertaines.
Le monde de l’économie change. Mais pas la façon qu’ont certains criminels de faire du business...
Qu’en avons-nous pensé… en quelques lignes.
Tout bon Largo Winch commence toujours tel un James Bond : une belle et longue introduction, où les auteurs posent leur héros, ses idéaux humanistes et son univers de luxe (et n’oublions pas le rôle de faire-valoir malheureux de son comparse d’aventure).
Et dès cette entame, Largo Winch est brossé ; certes, c’est toujours un peu (mais pas trop) caricatural, un peu trop bourré de l’idéal jeune milliardaire qui fait passer l’humain avant ses résultats financiers, un peu trop « Cow Boy » dans les phases de castagne (quel patron virerait son fourbe employé en le jetant par une fenêtre ?)… mais ça marche toujours et il nous plait toujours autant … et puis, c’est Largo Winch !?!
L’autre point positif de ce type d’entame est que les auteurs ne sont pas tombés dans les travers du « sexuellement correct » tout en faisant de fines allusions au mouvement mee to et à son slogan « Balance ton porc ». Le décor est donc finement planté : tous les codes sont bien implantés par Eric Giacometti tandis que le travail graphique de Philippe Francq est toujours aussi attirant pour les yeux !
Vient donc l’heure ensuite de poser la nouvelle histoire, avec l’arrivée du couple infernal. Là encore, on a affaire à des antagonistes flambeurs et sans morale. Leur objectif est simple : Se faire un max d’argent en utilisant tous les moyens actuels, le tout chapeauté d’une jolie couverture « Green » 100% Fake ! En ce sens, l’animosité et l’antagonisme avec Largo Winch nous semble un brin trop machiavélique… Balayé d’une simple Punch Line par Jarod Manskind, sans aucun égard…. Certes, leurs terrains de jeux respectifs ne sont pas les mêmes (l’ancienne vs la nouvelle économie), mais ils sont de la même génération et parlent le même langage… On a personnellement un problème avec l’équilibre du caractère de Jarod ; il est censé être le nouveau Parangon de la NetEconomie, mais a un comportement « Black is black », sans aspérité ni nuance (un parfait méchant des années ’60)… Si sur la fin, on comprend qu’il y a un bien plus grand complot derrière ce conflit d’Ego, franchement on a du mal à imaginer qu’un CEO comme lui existe (et oui : on connait pourtant les rumeurs sur le caractère d’Elon Musk ou de celles sur le tout frais retraité d’Amazon, Jeff Bezos).
Pour le fond de l’histoire par contre, on a bien accroché : après avoir « blanchi » le groupe W de son système d’optimisation fiscale (très en phase au début de la série mais devenu totalement borderline aujourd’hui), Eric Giacometti fait prendre un nouveau cap aux entreprises de notre héros, davantage tourné vers les nouvelles technologies (là aussi, il actualise l’univers du héros de Jean Van Hamme avec notre époque actuelle). C’est très bien amené, sans trop de techno-fisco-blabla et compréhensible par tout qui s’intéresse un tant soit peu aux politiques liées à la Tech.
L’autre point très positif est le rythme de l’histoire : on suit 2 (parfois 3) narrations en parallèle, nous donnant vraiment l’impression de suivre l’Histoire en temps réel mais sur des fuseaux-horaires différents. Ce type de structure narrative dynamique est nouvelle aussi pour la série et si le premier diptyque scénarisé par Eric Giacometti nous perdait quelques fois sur des lourdeurs ou des explications trop détaillées, ici on ressent que notre conteur a parfaitement pris la mesure de l’univers W et que les pantoufles du scénariste originel se sont bien faites à son pied à lui ! Le style « Aventure » nous parait mieux coller au style de notre écrivain (mais on ne l’a que trop peu lu dans des thrillers financiers que pour avoir un avis définitif sur ce point).
Un dernier mot enfin sur la partie graphique de cette bande dessinée. Non sur la finesse des traits, sur le graphisme emporté de Philippe Francq, ou encore sur la lisibilité extraordinaire de ses planches, mais plutôt sur les couleurs : On a été littéralement bluffé par la luminosité, par le soin apporté aux différentes ambiances : on ressent bien la froideur de l’espace, les scènes de danger sont toutes auréolées d’une tonalité particulière en lien avec leur environnement (une industrie, la jungle, …). Souvent lorsqu’on perçoit ce type d’émotions en lisant une planche, on met en avant le travail du dessinateur. Certes, mais les nuances, la colorimétrie et l’équilibrage des tons et des ombres est un réel travail aussi !
Le parfait exemple récent est le tout récent « Goldorak », chez Kana Classics ; dans cet ouvrage aussi donc, la force du trait du dessinateur ne suffit pas. Rendons donc hommage à ce travail de l’ombre et ses auteurs : Philippe Francq ET Bertrand Denoulet !
Bravo donc à vous 3, cette première partie du nouveau Largo Winch est à la hauteur des très bons scénarios de Jean Van hamme ! Vivement la conclusion…
Pour en savoir (encore) +…
11 000 000 d’albums vendus dans le monde, traduit en une vingtaine de langues, le tirage initial de ce 23ème tome est de 290 000 exemplaires.
En plus de l’édition classique, une édition « documentée » est présente aussi chez nos gentils libraires (pour 2€ de plus), tandis qu’une édition « Prestige » sortira pile poil pour les cadeaux de fin d’année (pour quelques poignées d’euros en plus : 199€)
Milan Morales