Les 100 démons de l'Ombre Jaune
Dessinateur : Paolo Grella
Scénariste : Christophe Bec
Scénariste : Eric Corbeyran
Editeur: Soleil
♥ Coup de cœur ♥
L’histoire de ce 1er tome, en quelques lignes…
Indochine, 1954. La guerre fait rage entre la France et le Viet-minh.
Un escadron de 14 militaires et 1 anthropologue est parachuté en pleine nuit au-dessus de la jungle. Malheureusement, seuls le commandant Robert Morane, son acolyte William Ballantine et le professeur Borulnik parviendront à atteindre leur but : le fortin tenu par le général Beaufranchet ; tous les autres soldats de l’escorte seront massacrés par 3 mystérieuses guerrières invincibles et totalement identiques…
Las, très vite leur retraite fortifiée sera elle aussi prise d’assaut par une armée de ces guerrières faisant d’une dextérité animale dans le maniement du sabre…. Les soldats français sont en déroute et nos héros ne devront à nouveau leur salut que dans une nouvelle fuite…. Tout au plus auront-ils pu capturer l’une de ses combattantes et parviendront à rejoindre un village dans la montagne.
C’est là qu’ils apprendront que leurs incroyables ennemies proviennent du temple de Lac Long Quan, une zone interdite perdue au fin fond de la jungle.
Décidés à en savoir plus sur cette menace, Bob Morane et Bill Ballantine partent alors vers ce terrible sanctuaire en compagnie de leur guide, Mây.
C’est en ce lieu vieux de 2000 ans qu’ils referont face à un bien plus cruel ennemi encore…
Ce qu’on en a pensé…
Quand on a appris que Christophe Bec voulait relancer la série Bob Morane, on s’est vraiment demandé ce que cet auteur allait faire dans cette galère !
Bob Morane, c’est plus de 200 romans -pour la plupart tous issus de la plume d’Herni Vernes-, dont une foultitude ont été adaptés en Bande Dessinée par divers dessinateurs (Attanasio, Forton, Vance, Coria). Mais c’est aussi une œuvre qui est entourée de lecteurs défendant bec et ongles « leur » héros de papier et jetant l’opprobre sur tout ce qui ne leur semble pas dans l’esprit moranien. J’en veux pour preuve les nouveaux romans écrit par Gilles Devindillis mais aussi et surtout la tentative de reboot de la série en 2015 (cfr. notre interview de Dimitri Armand). Les auteurs en sont sortis dégoutés de cette aventure et même l’éditeur Le Lombard jettera ensuite le gant !
Ayant assisté de près à ce honteux travail de sape sur ce qui fut pourtant une très belle reprise actualisée de la série, on ne pensait donc plus revoir de sitôt ce héros transgénérationnel en bande dessinée avant longtemps.
C’était donc sans compter sur l’amour inconditionnel de Christophe Bec pour celui qui berça de ses aventures son adolescence ! Déjà en 2013 il amorça une reprise qui ne fut pas retenue par l’éditeur et dériva vers un héros à l’esprit et au physique moranien, mais appelé « Lancaster »…. Un second essai, avec cette fois Philippe Tome au scénario ne se concrétisera pas.
Après donc 2 années de travail, voici donc ce « nouveau » Bob Morane, réalisé en collaboration avec Eric Corbeyran (l’univers incroyable des « Stryges ») et dessiné par Paolo Grella.
Et pour être honnête, on a adoré ! Un Bob Morane tel que celui façonné par Henri Vernes, avec ses forces et ses faiblesses : S’il est bel et bien le défenseur des orphelins, ce héros n’est pas invulnérable et peut tomber sous les coups de ses adversaires ! Cet homme est inscrit dans son époque (les années ’50) et dans son univers.
Graphiquement, le travail de Paolo Grella est magnifique : on retrouve le Commandant Morane dessiné par William Vance dans sa meilleure période, sans pour autant que l’on n’ait l’impression d’un travail de copiste. Les décors de jungle, les paysages d’Indochine et la colorisation sont juste exceptionnels ! Le summum étant atteint à mes yeux sur la double planche nous présentant pour la première fois le temple de Lac Long Quan ; on en prend plein les yeux et on y est alors totalement immergé !
On en arrive alors avec le pinacle de cette reprise, « le » point qui nous a fait bondir de joie : Monsieur Ming, la fameuse Ombre Jaune n’est plus représenté sous les traits d’un asiatique bouffi : il est bien tel que décrit dans les romans : fin et athlétique, un costume de clergyman et un regard envoutant, avec des dents taillées en pointe…. Si sur ce personnage le travail de Dimitri Armand était déjà excellent, ici Paolo Grella a vraiment su représenter le Ming le plus fidèle à celui décrit par Henri Vernes !
A l’inverse, Bill Ballantine n’a pas le charisme attendu : ni physiquement (bien que grand, sa présence n’impose pas le respect) ni même dans l’esprit du personnage (ses traits d’humour tombent à plat, et à aucun moment on n’a l’impression que Bob Morane peut se reposer sur son ami de toujours).
L’autre point qui nous a dérouté a été la bascule SF qu’opèrent les 2 scénaristes dans le dernier tiers de l’histoire. Certes dans les romans et surtout ceux avec Ming, ce style de récit n’est pas étranger, mais ici on sent trop poindre l’influence de Corbeyran pour des créatures effrayantes (comme les Stryges justement). Et puis surtout, le scénario bascule trop vers un remake des films « Alien »…. Ce chapitre est -à nos yeux !- en décalage avec le reste de l’album. Sans nul doute, Bec & Corbeyran ont voulu rendre hommage au film de Ridley Scott, mais on l’a trouvé trop appuyé.
A l’inverse et toujours en parlant d’hommage, on ne peut passer sous silence celui rendu à William Vance ! A nos yeux, il est la référence graphique, celui qui a fixé l’univers de Bob Morane en bande dessinée. On a déjà parlé du fantastique travail d’apppropriation de Paolo Grela en ce sens, à la coupe de cheveux du héros « 100% Vance », mais les auteurs ont poussé le vice à reprendre le mythique logo de la série et surtout la double-page de garde : en ouvrant pour la première fois cet album et en la découvrant, on a senti directement monté en nous la hype ! Bien joué une fois encore.
En conclusion donc, on ne comprendrait clairement pas une nouvelle levée de boucliers de l’arrière-garde des vieux grincheux défenseurs de Bob Morane :
Un scénario original mais dans lequel on retrouve le souffle de l’Aventure avec un grand « A », des ennemis charismatiques (Ming !!!!) de jolies filles, des extra-terrestres, une atmosphère inquiétante, la jungle hostile et sauvage et une cité interdite…. Bravo Messieurs, Guy Delcourt ne s’est pas trompé en s’associant avec vous sur ce projet : vous avez désormais les clés de l’héritage laissé par Henri Vernes pour sa partie IXème Art.
Un dernier mot enfin pour Christophe Bec : je réalise des chroniques depuis bientôt 10 ans, j’ai eu entre les mains des albums de votre crû qui me sont tombés des mains (L’Aéropostale, bikini Atoll), d’autres originaux qui m’ont enchanté (Carthago, Sanctuaire, Crusaders…) mais je salue aujourd’hui votre courage et votre travail sur vos reprises : ce que vous avez fait hier sur « Tarzan » et aujourd’hui avec « Bob Morane » nécessite talents et courage (avec un zeste certain même d’inconscience). Bravo !
Pour en savoir (encore) + …
Un second tome intitulé « Les prisonniers du temps » devrait paraitre début 2022 ; les auteurs enverront leurs héros dans le crétacé, en compagnie d’un autre personnage emblématique de la série : Sophie Paramount…. On a déjà grand hâte !
Milan Morales