Un faible pour les losers

Un faible pour les losers
extrait du site lesoir.be du 25 mai 07

Entretien Binet a composé plus de préludes que d'albums de bédé.
Fierté nationale de la France profonde avec sa série des Bidochon, Christian Binet cultive l'art de la simplicité. Il compose de la musique et esquisse des toiles dans son jardin secret, à l'abri du succès. Et pour mieux cerner l'air du temps, il invente de nouvelles têtes à claques avec des héros Impondérables.

La musique est une muse pour les auteurs de bande dessinée ?

J'ai découvert la musique par petits bouts avec un harmonium. Je jouais à l'oreille au début. Ensuite, j'ai appris les notes et maintenant je compose. Il ne faut pas brouiller les cartes. Je fais de la peinture et de la musique juste pour moi. Pour les autres, je dessine des BD !

Quand on tient un succès d'édition aussi colossal que les Bidochon, pourquoi créer de nouveaux personnages comme les « Impondérables » ?

Aujourd'hui, les auteurs sont condamnés par les éditeurs à « faire des succès ». Mais un auteur donne toujours son maximum et, pour le reste, il n'a aucune prise sur le marché ni sur les goûts du public ! A cet égard, j'ai la chance de travailler chez Fluide Glacial, un îlot épargné dans le monde de brutes de l'édition. Cela fait trente ans que je m'amuse, et je ne sais pas si les jeunes auront cette chance. Pour ce qui concerne les Bidochon, cette série ne me permet pas de parler de tout ce que j'ai envie d'exprimer - à propos des sectes en France, ou de l'obésité des enfants, par exemple. Alors, j'ai décidé de créer des personnages qui correspondent aux propos que je veux tenir, les « Impondérables ».

Vous touchez à des sujets de société très sensibles comme l'exclusion des vieux. Derrière l'humour, il y a des choses vraies.

Je suis abonné au quotidien Le Parisien, où je trouve énormément de thèmes d'actualité pour mes BD. Je découpe. Je mets dans des boîtes. Je tapote sur internet pour compléter. C'est de là que sortent des sujets comme le chômage des seniors. Ce qui m'intéresse, c'est de dessiner les réalités que cachent ces mots. Il y a des forums entiers sur le net avec des milliers de seniors au chômage qui racontent leurs tragédies personnelles.

La France qui gagne ne vous inspire pas ?

Ce sont des paroles électorales, tout ça. Les hommes politiques ne peuvent pas parler d'un pays qui va perdre, c'est normal ! Après les élections, le pragmatisme général va reprendre le dessus. Les politiciens n'ont plus les commandes. Souvenez-vous de Mitterrand. Quand il est arrivé au pouvoir, il a voulu réaliser ce qu'il avait promis. Il n'a pas pu ! Le monde s'est globalisé.

Il y a un gag formidable sur la démocratie participative dans ce nouvel album. Il vous est venu comment ?

J'ai un faible pour ces gens qu'on prend pour des losers, parce qu'ils se contentent de vivre tranquillement et de payer leurs impôts. On ne leur demande jamais leur avis sur rien parce qu'ils ne font pas de bruit. En fait, on ne s'intéresse qu'à ceux qui foutent le bordel !

Dans la même veine, la réunion de comité de quartier à propos de la pollution sonore est un must !

C'est une variation sur le thème du savoir. Il y a le public des gens simples d'un côté et celui du type qui sait tout, qui est le seul à comprendre l'échelle logarithmique de la pollution sonore de l'autre. C'est une parodie du charabia administratif. Aujourd'hui, on ne sait plus dire les choses importantes simplement. Moi, j'adore ça, m'exprimer dans la simplicité. Un dessin direct avec des mots précis, ne pas être bavard, ni dans l'image ni dans les mots.

COUVREUR,DANIEL

© Rossel et Cie SA

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